Les féeries glacées de Géraldine Lay (lire notre entretien avec l’auteure)
Failles ordinaires est une monographie parue en juillet 2012 aux Editions Actes Sud. Jacques Damez a écrit la préface, “Les pannes du mouvement” dont voici un extrait : Géraldine Lay nous inscrit dans l’insécurité, elle souligne ses incertitudes jusqu’à tendrement nous les faire partager. Elle semble être au coeur de son inquiétude : celle de la perte du fil de sa pensée, de sa visée qui subitement pourrait la rendre aveugle. Cette faille ordinaire où d’un coup on ne sait plus, où l’évidence qui régnait échoue, où soudain ce qui s’imposait comme une logique implacable perd tout son sens et où seul reste le doute.
Jacques Damez montre comment, par les photographies, le regardeur est jeté dans « l’insécurité » : l’artiste « glace » le réel afin de faire surgir des doutes. Et ce au milieu des secrets les plus intimes. Les siens ou ceux des autres. Pour en suivre les traces elle sait se faire plus petite en sa traversée du réel. Les « failles ordinaires » font suite aux « histoires vraies » ( Galerie Le Réverbère, Lyon, 2011). Elles sont saisies à travers objets et corps où souvent navigue un érotisme à peine esquissé. Il existe toutefois et paradoxalement une sorte de “pornographie” si on entend par là qu’elle donne à voir de la façon la plus crue ce qui échappe à la vue.
Tout reste à la fois offert mais distancié. Car si la photographe n’a cesse d’entrer dans l’intime de l’autre, ce n’est pas pour le hanter mais afin de rêver l’altérité. Fantôme ou réalité, l’autre sert donc d’appât ou d’abri à une identité supposée. Celle-ci ne se définit que par les dépôts à travers lesquels la photographe crée ses dépositions, ses procès figuratifs. A l’aide d’indices, chaque photographie aborde les problèmes de la perception visuelle et la découverte du réel même si l’histoire qui se découvre reste opaque puisque Géraldine Lay se refuse à raconter quoi que ce soit qui ressemblerait à une confidence.
L’œuvre reste complexe car elle est explicite autant parce ce qu’elle montre que par ce qu’elle suggère. Restent des bribes, des reflets, des troubles qui renvoient implicitement à un hors-champ significatif. Tout demeure, comme l’écrivait Mallarmé, « à l’état de lueur et seulement, le temps d’en montrer la défaite ». Pour rester avec Mallarmé, « rien n’aura lieu que le lieu » mais il faut le comprendre tel un écrin labyrinthique. D’un spectacle presque vide surgit l’appel à une supposée diégèse. Elle impose le questionnement du visible. Avec Géraldine Lay l’usage de l’intime n’est en rien un prétexte à des visions romantiques ou fantasmatiques. Pas plus à une atmosphère de néo-réalisme. Chaque photographie reste une fête décalée capable de prendre le voyeur à son propre jeu. Les images errent entre vapeurs et couleurs plombées, si bien que celui-là peut être roulé dans la blancheur de farine.
L’artiste produit en conséquence une œuvre au statut particulier. Travaillant sur des lieux qui ne sont pas les siens, la créatrice enchâsse sa propre histoire dans la grande question du secret. Celle-ci rebondit sur une autre interrogation : trouver qui est le sujet du sujet. Intérieurs ou espaces publiques deviennent des demeures de hantise et de méditation. L’inquiétude reste donc bien la « faille ordinaire » de la création photographique : là où l’évidence pourrait régner, tout capote, diverge. Géraldine Lay fait partager le doute là où tant d’autres croient offrir des évidences.
jean-paul gavard-perret
Géraldine Lay, Failles ordinaires, Préface de Jacques Damez, Edtions Actes Sud, 2012, 140 p., 25 E.