La condition féminine à travers la prostitution
Charles Berling s’empare du film de Jean Luc Godard Vivre sa vie : Nana décide de quitter son mari et son enfant pour faire du théâtre, du cinéma ! Mais, tandis que ses petits boulots ne lui procurent qu’un salaire de misère, son désir de devenir actrice l’entraîne à fréquenter un photographe qui lui propose de poser nue avant que la rencontre du proxénète Raoul ne fasse entrer la jeune femme dans la prostitution. Suite à la rencontre d’un jeune homme dont elle tombe amoureuse, elle souhaite arrêter. Mais Raoul, exaspéré, la vend à un autre réseau. Nana devient alors la laissée-pour-compte d’une transaction qui dérape : une balle perdue la tue.
Aux danses équivoques et provocantes des prostituées sur fond de guitare électrique succèdent des interludes plus philosophiques. À partir de Platon, Kant, Hegel ou encore Leibniz, le rôle du langage est mis en question dans son rapport à la pensée et à la communication mais aussi le mensonge comme voie d’accès à la vérité.
Quatre acteurs incarnent brillamment des rôles multiples. La mise en scène est efficace sans être novatrice : au fond de la scène un écran sert tour à tour de miroir renvoyant aux spectateurs leur propre image puis de support pour des extraits de vidéos et de films. L’écran clôt la scène tout en la redoublant : alors que les comédiens disparaissent derrière, un nouvel espace se crée qui devient le support d’un jeu d’ombres dont la puissance de suggestion est forte. Cette arrière-scène fait figure de chambre d’hôtel glauque, de bistro bruyant, des lieux où toujours se concentrent et se conjuguent désirs et répulsions.
Dans le canevas narratif sont enchâssés des textes de Marguerite Duras, Bernard-Marie Koltès, Simone Weil et Virginie Despentes qui laissent entendre les voix d’écrivains, de féministes et d’anciennes prostituées. Sur un ton neutre sont énoncées les conditions de travail de Nana (horaires, clients vacances, enfants). Certains de ces textes mettent en avant la touchante humanité des clients mortifiés par leur solitude tandis que d’autres révèlent les dessous violents de cette profession méprisée.
Les points de vue contradictoires ouvrent à la réflexion et soulèvent des questions sur le travail aliénant, interrogent notre rapport à l’argent, au corps réifié et à la sexualité, à la domination d’un genre sur un autre. Si Nana assume un premier temps sa condition nouvelle, elle continue d’évoluer entre ravissement, ennui, déchéance, dégoût de soi. Sa mort tragique indique la possibilité d’une rédemption, comme le suggère la projection d’une des scènes emblématiques du film de Dreyer Jeanne d’Arc.
Charles Berling s’engage sur sujet grave — la condition féminine à travers la prostitution — mais sans parvenir au but qu’il s’est donné. La juxtaposition des tableaux scéniques ne produit pas un agencement suffisamment efficace pour construire une structure solide, d’où un manque de consistance de la pièce dont le final manque d’impact. A terme, frustrés, on reste sur sa faim.
clara cossutta
Vivre sa vie
d’après le film de Jean-Luc Godard
mise en scène par Charles Berling
Avec Hélène Alexandridis, Pauline Cheviller, Sébastien Depommier, Grégoire Léauté.
© Nicolas-Martinez
Adaptation libre du scénario du film de Jean-Luc Godard, accompagnée de textes de Virginie Despentes, Marguerite Duras, Henrik Ibsen, Bernard-Marie Koltès, Grisélidis Réal, Sophocle, Frank Wedekind, Simone Weil.
Dramaturgie Irène Bonnaud ; scénographie Christian Fenouillat ; lumière Marco Giusti ; musique Sylvain Jacques ; vidéo Vincent Bérenger ; coiffures & maquillage Cécile Kretschmar ; costumes Marie La Rocca ; assistante costumes Léa Perron ; assistant mise en scène Matthieu Dandreau ; chorégraphie Lise Seguin ; décors Espace & Cie ; régie générale Olivier Boudon ; régie Lumière Nicolas Martinez ; régie Son/Vidéo Christophe Jacques.
Tournée : Au festival d’Avignon, Théâtre des Halles, scène d’Avignon, Rue du Roi René 84000 Avignon, du 05 au 28 juillet 2019 (relâche les mardis 9, 16 et 23 juillet) Salle Chapitre à 19h00 ; du 26 au 28 septembre 2019 Châteauvallon-Scène nationale (83) ; du 1er au 05 octobre 2019 Théâtre Les Bernardines, Marseille (13) ; les 14 et 15 novembre 2019 Théâtre de La Manufacture, CDN Nancy-Lorraine (54) ; du 20 au 22 novembre 2019 Anthéa Antipolis, Théâtre d’Antibes (06) ; du 26 novembre au 07 décembre 2019 Les Célestins, Théâtre de Lyon (69).
Durée: 1h20
Production Châteauvallon-Scène nationale / Le Liberté, scène nationale de Toulon. Production déléguée Châteauvallon-Scène nationale. CoproductionThéâtre Gymnase-Bernardines (Marseille), La Manufacture-Centre Dramatique National Nancy Lorraine. Le spectacle a reçu le soutien du Théâtre des Halles-scène d’Avignon, du TGP-CDN de Saint-Denis, du Centquatre-Paris, en partenariat avec Le Théâtre des Halles, Scène d’Avignon, Direction Alain Timar. Remerciements à J-L Godard, J-P Battaggia ainsi qu’aux Films du Jeudi et Gaumont.