Estelle Monbrun, Meurtre à Isla Negra, Meurtre chez tante Léonie

Voyage au bout du noir, de Pablo Neruda à Mar­cel Proust, en com­pa­gnie des deux héros flics d’Estelle Monbrun.

Meurtre à Isla Negra

À Isla Negra, au Chili, les cadavres se balancent aux branches des arbres. Pas de quoi s’émouvoir (et encore) si ce n’est que la femme retrou­vée par un ama­teur de pho­tos aériennes est un ancien témoin d’une affaire fran­çaise qui avait changé d’identité. Le plus trou­blant, hor­mis que la pen­due était déjà morte avant d’être pen­due, c’est cette inter­dic­tion qu’elle a adres­sée à une amie quelques heures avant de dis­pa­raître : ne pas prendre le métro le 24 février pro­chain… L’ex-commissaire Fou­che­roux, aujourd’hui à la tête de l’antiterrorisme, délègue son ancienne col­lègue qui a repris son poste, la sémillante Leila Dje­mani. Cette der­nière débarque donc au pays de Pablo Neruda sous une cou­ver­ture qui ne dure que le temps de dire “ouf” et de consta­ter les ten­sions exis­tant entre les per­son­na­li­tés effrayantes et effa­rantes des rési­dents de la villa Pablo-Neruda cen­sés y expri­mer leurs talents artis­tiques, de la cui­sine à la com­po­si­tion musi­cale en pas­sant évi­dem­ment par la littérature.

Sous la coupe de Mme Pie­dre­cil­las, un vrai dra­gon qui dirige la mai­son d’une main de fer avec une rigueur toute mili­taire et ne manque jamais de vous faire clai­re­ment sen­tir quand vous com­met­tez la moindre incar­tade, la villa Pablo-Neruda ne coule pas vrai­ment des jours pai­sibles. Un ter­ro­riste d’origine espa­gnole qui se targue de repré­sen­ter les oubliés du Win­ni­peg, ce navire affrété par des res­sor­tis­sants espa­gnols qui fuyaient Franco et avaient été trai­tés comme des chiens par le gou­ver­ne­ment fran­çais d’alors, fomente un atten­tat à Paris. Ses mains sont en France, et pas très loin d’un Jean-Pierre Fou­che­roux dont le couple bat un peu de l’aile alors que sa femme attend un enfant et ne sait pas si elle doit avor­ter ou pas. Et ce ter­ro­riste en puis­sance, aussi meur­trier, est très agile. Leila Dje­mani doit per­cer son iden­tité en un temps record.

Avec Meurtre à Isla Negra, Estelle Mon­brun conti­nue d’explorer le pay­sage lit­té­raire. Ce coup-ci, nous côtoyons Pablo Neruda, véri­table mythe chi­lien, et son his­toire espa­gnole où, d’abord consul, il arpenta Madrid aux côtés de Fede­rico Gar­cia Llorca et de Rafael Alberti avant d’adhérer à la cause répu­bli­caine lors de la Guerre d’Espagne et du putsch de Franco. Estelle Mon­brun retrace la période fran­çaise et rap­porte le déchi­re­ment de ces familles mal accueillies par la France, tra­hies par cer­tains des rési­dents, en attente d’embarquement vers leur terre pro­mise, à bord du Win­ni­peg. Son récit, agré­menté d’atermoiements sen­ti­men­taux, alterne passé déformé par une ancienne témoin de ces évé­ne­ments, alors âgée de 15 ans, et inves­ti­ga­tion sur le sol chi­lien ou fran­çais. La pléiade de per­son­nages récur­rents (Jean-Pierre Fou­che­roux, Leila Dje­mani et Gisèle Dam­bert) n’a pas pris une ride mal­gré les déchi­re­ments entre eux qui se mul­ti­plient et les rap­ports troubles qu’Estelle Mon­brun ne se charge pas d’éclaircir, bien au contraire !

 


Meurtre chez tante Léo­nie

En paral­lèle à la sor­tie de Meurtre à Isla Negra, les édi­tions Viviane Hamy res­sortent en for­mat poche le pre­mier roman d’Estelle Mon­brun, Meurtre chez tante Léo­nie. Ce roman, qui est à l’origine de la créa­tion de la col­lec­tion “Che­mins noc­turnes”, mar­quait aussi les pre­miers pas d’un pro­fes­seur de lit­té­ra­ture, spé­cia­liste de Mar­cel Proust, à l’identité aujourd’hui dévoi­lée, Elyane Dezon-Jones (Proust et l’Amérique, édi­tions Nizet, 1982) dans le monde du noir. Un roman à lire pour qui a adoré la fameuse Recherche et qui amè­nera vers celle-ci le lec­teur curieux mais réti­cent qui n’aura pas encore osé abor­der la fresque prous­tienne à cause de son ampleur et de son sta­tut d’œuvre majeure de notre lit­té­ra­ture.

Jean-Pierre Fou­che­roux et Leila Dje­mani enquêtent sur la mort de la pré­si­dente de la Proust asso­cia­tion, dans la mai­son de tante Léo­nie à Illiers-Combray. La pré­si­dente avait une fâcheuse ten­dance à s’attirer les ini­mi­tiés de ses proches dont elle se ser­vait — chan­tage, jeux de l’amour — pour par­ve­nir à ses fins. Jusqu’au jour où le vase déborde, à la veille d’une confé­rence où, comme dans tout bon roman d’Agatha Chris­tie, cha­cun des pré­sents à de bonnes rai­sons de vou­loir sa mort. Et force est de consta­ter que l’un d’entre eux a fran­chi le pas. Au milieu, erre la pauvre Gisèle Dam­bert qui a repris des études et une thèse, qui s’est retrou­vée en pos­ses­sion de cahiers de Proust, écrits en 1905 et que l’on croyait détruits, et qui traîne un spleen depuis qu’elle a rompu avec celui auprès de qui elle croyait avoir trouvé le grand amour - une Gisèle Dam­bert que son sta­tut de secré­taire de la défunte pré­si­dente n’arrange guère. Celle qui devien­dra la com­pagne de Jean-Pierre Fou­che­roux agit envers et contre tout et se posi­tionne en cou­pable idéale. D’autant qu’elle avait mis une dose de che­val de som­ni­fères dans un petit pot de confi­ture pour endor­mir notre pré­si­dente dont la vie, jusqu’à sa propre mort, n’aura été que men­songes, tru­cages et petits arran­ge­ments. Et Émi­lienne dans tout ça ? Elle ron­chonne, bou­gonne et rêve d’un amour perdu.

julien védrenne

   
 

-  Estelle Mon­brun, Meurtre à Isla Negra, Viviane Hamy coll. “Che­mins noc­turnes”, avril 2006, 264 p. — 15,00 €.

-  Estelle Mon­brun, Meurtre chez tante Léo­nie, Viviane Hamy, mars 2006, 250 p. — 7,00 €.

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