Si presque tout le monde a entendu évoquer Moby Dick, cette baleine blanche, ou ce cachalot (selon les traductions), poursuivie par un capitaine à moitié fou, moins nombreux sont ceux qui appréhendent l’œuvre dans sa globalité. Elle est souvent réduite à la traque, le combat personnel, la volonté de vengeance d’Achab contre le cétacé. Or, le roman d’Herman Melville est plus ambitieux. L’auteur a été marin sur un trois mats baleinier. Sur ce bateau, pendant plus d’un an et demi, il a parcouru le Pacifique, visité les iles Galápagos, les Marquises avant de déserter.
De toutes les adaptations du roman, dans tous les genres artistiques, peu s’appuient sur le titre exact du livre : Moby-Dick ou le Cachalot. En effet, ce roman entremêle deux grandes parties, un travail érudit pour tenter de connaître, de comprendre ce prodige de la nature qu’est la baleine et l’histoire d’une vengeance, celle d’un homme qui a perdu une jambe dans la rencontre avec ce cétacé. C’est cette version de l’œuvre, celle restituée entièrement que Sylvain Venayre propose dans ce livre-album intitulé À la recherche de Moby Dick, un texte fourmillant illustré par Isaac Wens.
Cet album se compose de cinq chapitres, ne donnant à la chasse de la géante blanche qu’un cinquième de l’histoire. On trouve, bien sûr, la rencontre entre Ismaël et le géant néo-zélandais Queeques, leur embarquement, leur vie à bord, les détails sur les cétacés… Mais le scénariste introduit l’enquête d’un journaliste de France Culture, à notre époque, qui, avec l’aide de plusieurs scientifiques, chercheurs, éclaire une foultitude de notions.
Herman Melville possédait une grande culture littéraire qu’il distillait au long de ses pages, que l’on retrouve dans le récit d’Ismaël. Celui-ci multiplie les portraits de ceux qui l’entourent, de ces marins aux taches diverses, il développe des analyses psychologiques, des dissections sociales fouillées et extrêmement détaillées.
Parallèlement, Sylvain Venayre dévoile toutes les références religieuses, explique qu’elles étaient parfaitement connues du monde protestant, en particulier des Quakers qui ont fondé la ville de Nantucket, devenu un grand port baleinier, celui d’où est parti Melville. Il cite nombre de références bibliques, dans les noms des personnages, dans le choix des situations. Il détaille les valeurs et les représentations religieuses du Trois, du Quatre et du Sept, le chiffre divin par excellence qui est l’addition des deux premiers. Il donne la nature du Six qui peine à être un Sept et qui, étant donc imparfait, est le chiffre du diable.
Avec cette lecture attentive, fine, Sylvain Venayre, donne un récit érudit, virevoltant de sujets en sujets, de thèmes en thèmes, ne se contentant pas de se focaliser sur la chasse d’Achab. Une superbe approche d’une œuvre universelle qui donne l’envie, toutes affaires cessantes, de plonger dans l’œuvre originale.
serge perraud
Sylvain Venayre (scénario) & Isaac Wens (dessin et couleurs), À la recherche de Moby Dick (d’après l’œuvre d’Herman Melville), Futuropolis, mai 2019, 224 p. – 29,00 €.