Clara Regy offre ici un livre intime et précieux. C’est l’envers et l’endroit d’une vie où une fille regarde faire son père jardinier dont les actions s’égrènent dans un style abrupt mais plus qu’affectueux qui montre les rapports de la femme et de son père sans les “poétiser” mais en les nourrissant de manière aporétique : “parfois ta bouche parle / tu ne racontes rien / je n’ose te le dire /parfois ta bouche parle /et me fait mal / aussi / quelques mots perdus // je réponds en silences ».
Et soudain tout est dit au milieu parfois de simples notations concrètes : “retiré 100 € à la boulangerie ».
La poétesse ramène aux moments elle revient chez son père et la maison où elle vécut son en enfance. Existe tout un “jeu” entre divers temps : le passé et le présent, le moment aussi où l’auteure est devenue adulte et où son père vieillit. Des échos se répondent : ceux de la vie qui passe.
Ils travaillent l’imaginaire et la perception de celle qui regarde son père et constate comment ce qui semblait presque fixé bouge.
D’où cet “Ourlet”. S’y pratique ce qu’on nomme un “passé empiété” pour remonter le temps tel qu’il fut et tel qu’il est désormais perçu. L’auteure écrit avec délicatesse au moment où la vie sépare forcément. Tout pathos est exclu. L’ensemble acquiert une puissance évocatrice rare au moment où la vie sépare insensiblement.
Le porte-monnaie qui semblait “géant” pour la petite lui semble ridiculement petit. Avancent, par notations rapides, deux existences vécues, en de tels moments, de plus près et dans une attention renouvelée. Et ce, loin de toutes enluminures mais au plus proche du ressenti
Clara Regy réussit un travail impressionnant de regard et d’écriture. Elle est capable de percevoir dans le moindre l’essentiel d’une relation première qui peut passer de l’insignifiance à la solidité au moment où le fil se détend mais où l’émotion trouve profit à de tels retours, avant que la fille ne reparte et quitte la clôture du passé lui-même en partance.
Quel plus bel hommage d’une fille à son père quoique rien — ou presque — ne soit dit ?
lire notre entretien avec l’auteure
jean-paul gavard-perret
Clara Regy, Ourlets II, Editions LansKine, Paris, 2019, 54 p. — 13,00 €.