Deux romans d’Anne Perry — dont la seconde aventure de Joseph et Matthew Reavley — qui montrent son talent d’écrivain.
Le Temps des armes
1915, en pleine guerre mondiale, deux batailles d’importance et sanglantes ont lieu en même temps, à deux coins de l’Europe. En Belgique, du côté d’Ypres, dans les tranchées et où les Allemands utilisent pour la première fois une arme redoutable, les gaz, et en Turquie, dans les Dardanelles. La mort a montré l’étendue de son emprise, et Joseph Reavley, maintenant aumônier, a fort à faire. D’autant que ses périples vont l’amener à côtoyer les deux champs de bataille. En effet, la poursuite du Pacificateur est toujours d’actualité. Cet homme qui a fait tuer les parents de Joseph, de ses deux sœurs et de son frère continue son œuvre de déstabilisation. Il a convaincu des journalistes de guerre de révéler l’horreur de la guerre dans toute sa splendeur pour empêcher un nouvel afflux de volontaires anglais. Et les Alliés ont plus besoin que jamais de troupes fraîches.
Parallèlement, un drame passionnel se joue entre Judith, sœur rebelle de Joseph et engagée volontaire au sein des ambulanciers, et le colonel anglais en charge des troupes britanniques qui combattent dans les plaines belges. Et ce colonel a un neveu, journaliste, qui prend un malin plaisir à démasquer les soldats qui se mutilent volontairement pour échapper à une mort certaine. L’affaire se corse quand ce neveu est retrouvé noyé dans le no man’s land entre les tranchées anglaises et allemandes. Joseph entame une enquête qui le reliera au Pacificateur et qui trouvera son apogée sur l’océan Atlantique quand son navire sera arrêté par un sous-marin allemand et que lui-même se découvrira une facette de sa personnalité qu’il ne connaissait pas.
Anne Perry montre à nouveau son talent de romancière. Les drames se multiplient à tous les niveaux. La tension dramatique va s’intensifiant à mesure que le lecteur voit s’amenuiser toute cette horde de personnages secondaires à laquelle il s’attache, victimes du Pacificateur et de la guerre. On assiste impuissant à la rédaction par notre aumônier de ces lettres que chaque foyer européen s’attendait à recevoir un jour et qui annonçaient la mort d’un membre de la famille — fils, époux, frère… Anne Perry s’est fait fort de s’immerger dans une nouvelle période historique, entamée avec Avant la tourmente. Elle y mêle amour, espionnage, enquête et guerre où pourtant surnage encore cette époque révolue, héritière des heures de gloire de l’Angleterre et de son Empire, l’époque victorienne qu’elle aime tant et qui est irrémédiablement perdue.
La Disparue de Noël
Ce court roman est paru un peu avant Noël mais peut se lire à n’importe quel moment de l’année. Anne Perry nous propose donc son conte à la sauce victorienne. Il n’y a nulle enquête. Tout au plus une quête avec le thème du rachat en trame de fond. Isobel Alvie, par ses propos cruels envers une jeune veuve, lors d’un repas entre invités de grande classe, a provoqué son suicide. Dans l’Angleterre hypocrite où prévalent les convenances, elle ne peut être accusée de meurtre — mais elle deviendra néanmoins une paria, écartée de toute table digne de ce nom.
Lady Vespasia va prendre au piège les autres convives de la maison en leur faisant promettre le silence si Isobel Alvie accomplit un voyage expiatoire en Écosse pour apporter l’horrible nouvelle à la mère d’Isobel qui y vit recluse. Le pèlerinage qui commence est semé d’embûches. Les mauvaises routes et les intempéries entament le moral de nos deux héroïnes, et la mère de la suicidée reste introuvable. Or le pardon et le retour à la normale ne peut passer que par cette rencontre. La trame est lancée. Ici, notre Reine du crime expose tout simplement avec la maestria que nous lui connaissons un petit bout de son jardin victorien. Un bijou à découvrir.
julien védrenne
Anne Perry, Le Temps des armes (trad. De l’anglais par Jean-Noël Chatain), 10–18 coll. “Grands détectives” (n° 3863), janvier 2006, 383 p. — 7,00 €. Anne Perry, La Disparue de Noël (trad. De l’anglais par Eric Moreau), 10–18 coll. “Grands détectives” (n° 3858), novembre 2005, 126 p. — 6,00 €. |