Rentrée littéraire 2019 : “Il faut sauver la littérature !”
Le – premier – roman de Julien Moraux débute de façon normale, on y plante le décor avec humour mais une certaine logique : le narrateur doit rédiger une biographie de Gérard de Villiers (pas Philippe, hein !), l’auteur des célèbre séries SAS ou Brigade Mondaine. Il se donne sept mois pour s’acquitter de sa tâche, la production d’une centaines de pages un peu « perso », un peu « gonzo », selon les recommandations de l’éditeur.
Hélas, les sources potentielles s’avèrent soit peu coopératives, voire carrément agressives (la veuve de Villiers) ou pour le moins absconses dans les conseils prodigués devant un bon litre de « pinard » (« Tu vas devoir mettre les mains dans la merde », p. 35). Et puis, à mi-chemin entre les poupées russes et un film déjanté à la Tarentino, l’histoire vire au surnaturel franchouillard, rigolard et sanglant (si, si, c’est possible).
Suite à une rencontre fortuite avec Frédéric Beigbeder – ou était-ce Dieu ? – tout part en vrille. Le lecteur se retrouve, via quelques exercices de style parfois bien sentis, parfois déconcertants, plongé dans un roman de Gérard de Villiers, avec Gérard himself comme personnage, ainsi que les personnages principaux de ses SAS (notamment, bien sûr, Son Altesse Sérénissime, Malko Linge et ses acolytes).
Nous voici embarqués dans une sombre histoire de vengeance, à base de clonage de nazis en singes, de sensuelles mais néanmoins violentes donzelles et de nains patibulaires, le tout orchestré par le très vindicatif et très machiavélique Jacques Granolat, créateur selon lui non reconnu à sa juste valeur du personnage de Braquemart, qui aurait dû faire la nique à SAS.
Et comment Granolat compte-t-il se venger ? En éradiquant la littérature, rien que ça, afin de pouvoir réécrire ses chefs-d’œuvre et de les signer de sa main. À charge pour le narrateur, Gérard, Malko et consorts de contrer le projet fou… à moins que tout cela n’ait été qu’un cauchemar de l’écrivain face à sa page blanche ?
On l’aura compris, le lecteur à la recherche d’une lecture sérieuse passera son tour. Les amateurs de Gérard de Villiers, en revanche, de style fleuri et de rigolade en auront pour leur argent. Le roman regorge de bons mots, de trouvailles (expressions fleuries, vocabulaire détourné, images plus ou moins graveleuses) parfois jubilatoires. Voir par exemple tout le passage avec Michel Houellebecq (à partir de la page 122), mon préféré.
Si Julien Moraux, à l’instar de son narrateur, trouve qu’« écrire ce n’est pas un plaisir. C’est une souffrance perpétuelle », il semble toutefois avoir pris pas mal son pied, pour rester dans le ton du livre, en écrivant cette folle épopée. Derrière l’apparente légèreté, évidemment, la question et le danger de la disparition de la littérature en filigrane, traitée par le biais de l’humour, quoique : « Flaubert, Zola, Aragon, Duras, Dumas, Sartre, Baudelaire… ils sont tous en train de disparaître […] On est en train de tous les perdre. Et je pense que vous avez deviné la suite./ On va tous devenir cons ?/ Sans ces livres, la vie n’a plus de sens et c’en est fini de chacun de nous. » (p. 121)
Pour conclure, le livre se lit vite, s’oublie sans doute assez vite aussi, mais procurera un moment plaisant – y compris aux ignares en matière de SAS – au lecteur en quête de divertissement et de langue inventive.
agathe de lastyns
Julien Moraux, Mais rien ne vient, Rocher, octobre 2019, 320 p. – 18,90€