Avec ce second roman publié, Mickael Koudero renouvelle le thème du vampire et intègre dans une enquête aux multiples répercussions, riche en péripéties, une vision moderne du diable, cette concrétisation du mal, pendant indispensable de Dieu.
Il a fait paraître, d’abord en autoédition sous le titre Les Enfants d’Érostrate (Érostrate est l’incendiaire du temple d’Artémis à Éphèse), puis au Québec, aux éditions de Mortagne, sous le titre Des visages et des morts, la traque de trois enquêteurs sur les traces de tueurs en série en France et en Belgique. Il y développe une intrigue noire à souhait, des actions fortes pour un récit en tension. Avec La faim et la soif, il propose un nouvel univers toujours aussi noir mais aux thématiques différentes.
Raphaël Bertignac arrive dans un appartement pour le nettoyer après le suicide de son occupante. Il est troublé par ce qu’il voit et par le fait que Mathilde Bourgoin, cette jeune femme de vingt-six ans, a voulu s’énucléer avant de se taillader les veines avec un crucifix.
En nettoyant il découvre un paquet de feuilles froissées sur lesquelles, utilisant toute la place, dans tous les sens, elle a écrit Nosferatu. Ancien journaliste d’investigation ayant subi nombre de déboires, il est titillé par le désir de comprendre les raisons de cette situation, d’en savoir plus. Sur Internet, il apprend que ce terme désigne un non-mort, un vampire, un démon.
Il rencontre Arnaud, celui qui a découvert le corps et qui était, selon ses propres termes : “Son plan cul.” Celui-ci révèle, après bien des hésitations, qu’elle avait été très marquée par un séjour à Prague et qu’elle cherchait une protection contre ses tourments. Il l’avait surprise comme possédée, voyant des choses, suppliant qu’on l’épargne. Étant catholique, tout en accordant sexualité débordante et spiritualité, il en avait parlé au prêtre de sa paroisse qui est également exorciste.
Raphaël se prend au jeu, voit l’occasion de relancer sa carrière de journaliste. Il rencontre le prêtre, puis, une ancienne stagiaire devenue rédactrice en chef de BFM TV qui lui achète ses futurs articles. Le médecin légiste a remarqué une greffe de la cornée aux deux yeux. Or, Raphaël n’a trouvé aucun dossier médical dans l’appartement. Un chirurgien évoque les apparences, encore mal connues, de la mémoire cellulaire. Mais c’est le commandant Toussaint de la PJ qui va lui dévoiler l’existence d’un meurtre étrange, vieux de trois mois. Octavian, un jeune homme retrouvé vidé de son sang, les organes presque entièrement dévorés…
Dans ce nouveau livre, le romancier aborde tous les rapports avec la chair humaine (hors sexualité… Quoique !) et avec le mal. Pour faire vivre son intrigue il conçoit un ex-journaliste devenu, suit à une série de déconvenues, nettoyeur de scènes de crime qui voit, dans ce qu’il constate l’occasion de revenir dans ce qui fut sa vie pendant plus de vingt ans, traquer le fondement des faits divers.
Il l’entoure d’une galerie de personnages solidement construits, étoffée pour donner corps à un récit riche et fourni en informations de toutes natures tant médicales, psychologistes, géographiques qu’historiques.
Le romancier raconte la vie des roumains sous la dictature de Ceausescu, ce tyran sans pitié qui, par la Securitate, faisait régner la terreur sur un peuple poursuivi par un passé de croyance. Il n’épargne rien dans l’horreur, le sexe rétribué, les drogues, les armes, le trafic des organes humains…
Avec un tel recensement, il n’y a pas besoin du diable. Il est là ! Et c’est l’Homme ! Koudero fait passer son héros des appartements parisiens aux taudis de banlieue, de Prague où l’atmosphère reste encore empreinte d’opacité, à la Roumanie et au massif des Carpates.
S’il s’appuie sur le vampirisme, il en détaille les origines avec Vlad Tepes et Erzseber Bathory, les évolutions et les survivances. Mais, le vampirisme, cette soif, ne rejoint-elle pas la faim avec l’anthropophagie dont il fait une belle description à travers les siècles et les sociétés ? Et n’y a-t-il pas encore un beau prolongement avec, par exemple, l’eucharistie catholique : “Prenez et mangez… Ceci est mon corps…” ?
L’auteur intègre, dans son récit des descriptions saisissantes comme le cheminement des effets de celui qui s’est tailladé les veines. Il fait part, à travers son héros, de réflexions pertinentes sur, par exemple, la fête de la musique : “Une idée à la con de Jack Lang.”, sur les politiciens qui ne voient qu’un plan de carrière et non un combat pour améliorer le sort de ceux qu’ils disent représenter…
Documenté, aux arguments étayés dans le cadre de l’intrigue et dans la logique du récit en acceptant les idées religieuses quant à l’existence d’un dieu et donc d’un diable, Mickaël Koudero signe un récit au style vif et percutant, servi par une belle écriture.
serge perraud
Mickaël Koudero, La faim et la soif, Hugo, coll. “thriller”, mars 2019, 528 p. – 19,95 €.