L’être en perpétuel chantier
Les corps de Sénéca sont des surfaces dont la viande devient un étrange fruit. A l’intérieur, le coeur y infuse sans doute dans la torsion des désirs et de multiples tourments. Mais dans les dessins et les textes qui les accompagnent, tout devient ici rêverie (enfin presque).
Les traces demeurent aussi corporelles qu’essentialistes en des sortes de pampres, lunes flammes et feuillages. Ce qui restait jusque là à l’abri des ventres trouve soudain une chambre d’écho et sort des starting-blocks de la peau.
Encadré de traits noirs les corps sont de ces mosaïques si persuasives que paradoxalement et au premier abord on ne voit rien. Mais très vite l’attention est éveillée, on voit que tout possède un sens : un gracieux colon à noueux papillon, une sorte de casque à enluminure témoignent de bien autre chose que d’un simple talent.
Certes, peu de mufles hilares mais tout témoigne d’une maîtrise dans la façon de transcrire le corps par d’autres voies qu’une nouvelle “ronde de nuit” ou qu’un “Saint François recevant les stigmates”.
Sénéca mérite donc bien sa réputation d’animalier adroit de l’humain. Et c’est une occasion pour l’être de se confronter avec des visions qui le dévissent de son piedestal. Il est soudain moins enchanté qu’en perpétuel chantier.
jean-paul gavard-perret
Roland Sénéca, Créatures, Fata Morgana Editions, Fontfroide le haut, 2019, 104 p.