Chris Brookmyre, Sombre avec moi

 Du grand art  !

Une nou­velle enquête, la sep­tième, du jour­na­liste d’investigation Jack Par­la­bane, en Écosse. Il affronte une femme, une machi­na­tion et son propre divorce.
Il a perdu de sa force et ne reçoit plus de menaces de per­sonnes que ses articles ont éner­vés. Cependant…

Au tri­bu­nal, tout le monde écoute l’enregistrement d’un appel dans lequel une dame est témoin d’un acci­dent. Une voi­ture a quitté la route vers les Chutes de la Veuve. C’est le pro­cès de Diana Jager, une chi­rur­gienne accu­sée du meurtre de son mari, épousé il y a six mois.
Elle est sans illu­sions, elle sait qu’elle est consi­dé­rée comme une abo­mi­na­tion, n’attendant ni com­pas­sion, ni par­don. Elle veut bien être cou­pable, mais ne pas être condam­née, esti­mant que per­sonne ne peut la juger avant de connaître toute la vérité.

Aux yeux du public, elle est une femme qui avait trouvé l’amour avant qu’il ne soit trop tard. Mais la comé­die roman­tique a tourné au mélo. La chi­rur­gienne n’avait-elle pas eu le cœur brisé quand l’homme avec qui elle avait com­mencé une nou­velle vie avait plongé, au volant de sa voi­ture, dans une rivière gla­cée ?
Mais Jack Par­la­bane, un jour­na­liste has been, y avait regardé de plus près à la demande de la sœur de la vic­time. Cette veuve sem­blait ne res­sen­tir aucun cha­grin. Elle res­tait froide, dis­tante. Et les élé­ments à charge se sont accu­mu­lés comme la dif­fu­sion, du fait de son mari, d’une sex­tape tour­née à son insu, son compte ban­caire vidé sans son assen­ti­ment… De plus, au moment de l’accident, elle por­tait la marque d’un coup sur la joue…

C’est avec les par­cours des trois prin­ci­paux per­son­nages que le roman­cier déploie son intrigue. Diana Jager relate, depuis son enfance, les évé­ne­ments, les cir­cons­tances, les rai­sons qui l’ont conduite à embras­ser sa car­rière, sa vie de céli­ba­taire tota­le­ment inves­tie dans son tra­vail, sa ren­contre avec l’homme idéal et les décep­tions qui ont suivi. Elle raconte aussi sa révolte contre le sexisme dans le milieu chi­rur­gi­cal qui l’a amené à créer un blog pour dénon­cer les abus qu’elle constate et com­pi­ler les témoi­gnages qu’elle peut rece­voir. Quand son iden­tité est décou­verte et dévoi­lée, c’est le défer­le­ment des tor­rents de haine, d’insultes, de menaces qui l’obligent à chan­ger de lieux de vie.
Jack Par­la­bane, un jour­na­liste sur la voie des­cen­dante, en proie au malaise d’un divorce mal vécu, s’attache à trou­ver la vérité dans cet imbro­glio. La poli­cière qui était sur les lieux du drame mène une enquête non offi­cielle à par­tir du scé­na­rio qu’elle a construit sur cette affaire.

Ce récit abou­tit à une conclu­sion remar­quable tant elle est inat­ten­due. Cette aven­ture de Jack Par­la­bane, le héros favori du roman­cier, décrit les milieux médi­caux par­ti­cu­liè­re­ment ceux de la chi­rur­gie où règne un cli­mat sexiste peu com­mun. Chris Brook­myre uti­lise, pour son intrigue démo­niaque, les moyens modernes dit de com­mu­ni­ca­tion, ces sites Inter­net, ces blogs, ces réseaux appe­lés “sociaux” où le pire, en grande quan­tité, côtoie le meilleur, en part infime.
Il struc­ture une par­tie de son récit avec cette dif­fu­sion de don­nées, les réflexions qu’elles sus­citent, les menaces de coups, de viols, de mort… qui fleu­rissent sans aucune limi­ta­tion, les auteurs se sachant pro­té­gés par un quasi ano­ny­mat. L’auteur pose des ques­tions de fond quant aux regards bien dif­fé­rents por­tés sur les mêmes actes com­mis par des hommes ou par des femmes. Publié en 2016, ce livre se révèle en avance de quelques années sur notre actua­lité dans ce domaine.

Après une des­crip­tion peu flat­teuse du milieu médi­cal, le roman­cier montre celui des infor­ma­ti­ciens qui gèrent les réseaux, outils aujourd’hui indis­pen­sables pour pou­voir tra­vailler dans presque tous les domaines. Il affiche leur suf­fi­sance voire leur morgue. C’est un indi­vidu de cette caste qui, se révé­lant fort dif­fé­rent, va enclen­cher la série d’événements ame­nant vers ce final éblouis­sant.
Pour entou­rer ses trois per­son­nages prin­ci­paux, dont il fait res­sor­tir avec brio leur richesse en émo­tions et sen­ti­ments,   Brook­myre conçoit une gale­rie de pro­ta­go­nistes aux pro­fils sociaux bien dif­fé­rents, aux carac­tères étof­fés. Il livre nombre de réflexions, de pen­sées sur la vie, sur la société comme par exemple : “…il paraît qu’une femme ne semble jamais aussi belle que quand elle sort de votre vie.”

Avec ce roman, Chris Brook­myre se révèle un maître dans l’art du récit, de la suc­ces­sion de por­traits sai­sis­sants de vérité et pour la construc­tion d’intrigues retorses et brillantes à sou­hait.
Un auteur à décou­vrir sans retard !

serge per­raud

Chris Brook­myre, Sombre avec moi (Black Widow), tra­duit de l’anglais (Écosse) par Céline Schwal­ler, Métai­lié, coll. Thril­ler, avril 2019, 496 p. – 22,00 €.

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Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

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