L’expérience de la fin du pouvoir
Comment gouverner un peuple-roi ? Le titre frôle la hardiesse, parce qu’il assimile le peuple à celui-là même contre lequel il s’est constitué dans l’histoire contemporaine : le roi ; mais il énonce la question essentielle de la politique, qui est, selon la formule cicéronienne reprise par l’auteur, l’art de commander à des hommes libres.
En cela, ce texte est un traité, où l’art de gouverner, qui n’a jamais cessé de poser problème, est réinvesti à la lumière de ce qu’exige la démocratie. Pour procéder à cet examen, l’auteur part du principe et du constat suivant lesquels la difficulté de la démocratie, qui tient à sa définition usuelle même, le gouvernement du peuple, par et pour le peuple — ce en quoi elle lui est inhérente, se réduit aux notions de peuple et de gouvernement, notion dont l’auteur a fait ses deux grandes parties.
Dans un premier chapitre, il se penche donc sur le concept à tout le moins polymorphe de peuple, et entreprend de résoudre ce problème qui est de le saisir et de l’identifier, par la théorie des cinq peuples, trois étant les lieux de sa manifestation (la société, l’opinion et les institutions), un étant une méthode et un dernier un récit, les cinq se faisant équilibre autour de la figure spectaculaire de l’étoile pentagonale, et cet équilibre permettant d’éviter toute hypertrophie.
Outre l’intérêt pédagogique de la théorie, cette conception plus que trinitaire du peuple, et presque divine, recèle encore et malgré tout l’impossibilité de le saisir du point de vue politique seulement, c’est-à-dire du point de vue de ses fonctions dans la cité, fonctions dont la politique et les institutions doivent assurer l’efficience, puisque ni la société, ni l’opinion, ni les institutions, ni les règles du temps démocratique, ni le récit du peuple, ne sont le peuple, et que, lui donnant une représentation, ils ne disent pas ce qu’il est, ce produit empirique de l’histoire, dont la sociologie retrace les fractures, mais que le vocabulaire de l’Ancien Régime, seulement, permettait de cerner dans sa pluralité essentielle (les peuples).
Dans un second chapitre, dont le titre (“Quel pouvoir ?”) laisse perplexe, puisqu’il ne concerne pas le pouvoir mais ses dévoiements, nous entrons dans l’examen non plus de ce qu’est le peuple et de ce qu’il doit être, mais du comment gouverner, c’est-à-dire dans l’art politique à proprement parler, le préalable de l’identification du peuple ayant été fait.
Ce chapitre, composé à la manière du premier, dresse un panorama des tentations possibles et avérées de la démocratie, lorsqu’elle fait face à son incroyable difficulté, et abandonne, pour la résoudre, sa qualité essentielle, qui est d’être libérale, ce qui a pour mérite de poser une première borne au socialisme et à ses engeances (communisme, anarchisme), et de réfléchir à la démocratie dans l’esprit de la démocratie. Avec ce panorama, Pierre-Henri Tavoillot donne à son chapitre le ton de De l’Urgence d’être conservateur, de Roger Scruton, ce qui n’est pas, là non plus, sans intérêt pédagogique et sans éloquence.
Cette première partie, justement nommée l’énigme de la démocratie puisqu’elle en approche les ambiguïtés fondamentales, débouche sur cette seconde dédiée à la manière de gouverner, selon les quatre étapes absolument solidaires de la méthode d’être du peuple en démocratie, qui correspondent aux quatre temps de la vie démocratique : l’élection, la délibération, la décision, la rémission des comptes.
On entre donc, après examen et résolution du problème, dans l’aspect pratique de la question, et cette partie achève de donner tout son sens à la notion de traité politique, car l’auteur est bien conscient que c’est en se servant de ce registre-là, avec ses tenants et ses aboutissants, que l’on peut appréhender le pouvoir et en résoudre les contradictions.
L’ouvrage est donc rédigé dans l’idée que l’art politique est un instrument de gouvernement, et que son traité est un instrument de pensée du pouvoir politique. Ce qu’on doit retenir, c’est que la démocratie, de tous, est le régime le plus exigeant et le plus difficile parce que le plus subtil, celui qui, non sans méthode, réalise le plus fidèlement et le plus complètement la synthèse entre liberté des hommes et efficience du pouvoir.
Ses nouvelles règles, pas moins que la défiance envers les institutions, qui est une faiblesse de l’esprit, sont de mise à ce moment-là de l’histoire de la pensée politique. Novateur dans son propos, ce livre renoue avec une tradition qu’il ne fut pas oublier ou reléguer.
La critique que l’on pourra adresser n’est donc pas de l’ordre de la démonstration, qui est parfaite, mais de son contenu, car ce texte est un texte du présent, sur le présent et l’avenir de la démocratie. La première page de couverture, dans un esprit hobbesien, présente une couronne, juchée sur une foule d’individus, devenant peut-être le peuple, ce qui est le présupposé de la démocratie, à laquelle ce traité vient en aide, comme si, telle que nous la connaissons et telle que nous la pensons, la souveraineté du peuple, elle était une fin dernière et un aboutissement.
En démocrate, et ce mot assumé revient souvent, il est permis de souscrire à une telle idée. Mais l’auteur pourra me ranger à la frontière des pathologies relevées quant aux dérives du pouvoir en démocratie si je me risque à dire que la démocratie est une dérive du pouvoir, que pour l’amender, il faut la limiter dans son principe même, et qu’en elle-même, telle que l’histoire en a accouché, elle est un régime très imparfait, quoique subtil et exigeant, parce qu’il regorge de contradictions dans sa théorie, de détours et de complexité inutiles dans son fonctionnement, et d’effets pervers dans sa durée.
Mais là n’est pas la tribune d’un réquisitoire de la démocratie. La mise à distance de la démocratie électorale doit seulement nous faire prendre conscience qu’elle est, plus que tout autre, un régime périssable, dont les règles et le traité heurtent rapidement la conception de la cité idéale que nous offre la longue tradition philosophique issue de la pensée grecque et du christianisme.
« La démocratie, peut-on lire au fil de ces pages, c’est aussi l’expérience de la fin du pouvoir. » Elle est donc une expérience de l’imperfection, car il n’est pas dans la nature du pouvoir d’être fini, non plus que d’être assimilé à l’exercice qu’en fait son détenteur, ce que semble dire cette citation.
Si le pouvoir est ce par quoi tient une société, à travers ses lois civiles et ses lois politiques, tout porte à croire que la démocratie n’en est pas le meilleur garant, et que la notion de peuple-roi suffit à démontrer ses vices constitutifs.
enzo michelis
Pierre-Henri Tavoillot, Comment gouverner un peuple-roi ? Traité nouveau d’art politique, Odile Jacob, février 2019, 358 p. — 22, 90 €.
Pierre-Henri Tavoillot, Comment gouverner un peuple-roi ? Traité nouveau d’art politique
L’expérience de la fin du pouvoir
Comment gouverner un peuple-roi ? Le titre frôle la hardiesse, parce qu’il assimile le peuple à celui-là même contre lequel il s’est constitué dans l’histoire contemporaine : le roi ; mais il énonce la question essentielle de la politique, qui est, selon la formule cicéronienne reprise par l’auteur, l’art de commander à des hommes libres.
En cela, ce texte est un traité, où l’art de gouverner, qui n’a jamais cessé de poser problème, est réinvesti à la lumière de ce qu’exige la démocratie. Pour procéder à cet examen, l’auteur part du principe et du constat suivant lesquels la difficulté de la démocratie, qui tient à sa définition usuelle même, le gouvernement du peuple, par et pour le peuple — ce en quoi elle lui est inhérente, se réduit aux notions de peuple et de gouvernement, notion dont l’auteur a fait ses deux grandes parties.
Dans un premier chapitre, il se penche donc sur le concept à tout le moins polymorphe de peuple, et entreprend de résoudre ce problème qui est de le saisir et de l’identifier, par la théorie des cinq peuples, trois étant les lieux de sa manifestation (la société, l’opinion et les institutions), un étant une méthode et un dernier un récit, les cinq se faisant équilibre autour de la figure spectaculaire de l’étoile pentagonale, et cet équilibre permettant d’éviter toute hypertrophie.
Outre l’intérêt pédagogique de la théorie, cette conception plus que trinitaire du peuple, et presque divine, recèle encore et malgré tout l’impossibilité de le saisir du point de vue politique seulement, c’est-à-dire du point de vue de ses fonctions dans la cité, fonctions dont la politique et les institutions doivent assurer l’efficience, puisque ni la société, ni l’opinion, ni les institutions, ni les règles du temps démocratique, ni le récit du peuple, ne sont le peuple, et que, lui donnant une représentation, ils ne disent pas ce qu’il est, ce produit empirique de l’histoire, dont la sociologie retrace les fractures, mais que le vocabulaire de l’Ancien Régime, seulement, permettait de cerner dans sa pluralité essentielle (les peuples).
Dans un second chapitre, dont le titre (“Quel pouvoir ?”) laisse perplexe, puisqu’il ne concerne pas le pouvoir mais ses dévoiements, nous entrons dans l’examen non plus de ce qu’est le peuple et de ce qu’il doit être, mais du comment gouverner, c’est-à-dire dans l’art politique à proprement parler, le préalable de l’identification du peuple ayant été fait.
Ce chapitre, composé à la manière du premier, dresse un panorama des tentations possibles et avérées de la démocratie, lorsqu’elle fait face à son incroyable difficulté, et abandonne, pour la résoudre, sa qualité essentielle, qui est d’être libérale, ce qui a pour mérite de poser une première borne au socialisme et à ses engeances (communisme, anarchisme), et de réfléchir à la démocratie dans l’esprit de la démocratie. Avec ce panorama, Pierre-Henri Tavoillot donne à son chapitre le ton de De l’Urgence d’être conservateur, de Roger Scruton, ce qui n’est pas, là non plus, sans intérêt pédagogique et sans éloquence.
Cette première partie, justement nommée l’énigme de la démocratie puisqu’elle en approche les ambiguïtés fondamentales, débouche sur cette seconde dédiée à la manière de gouverner, selon les quatre étapes absolument solidaires de la méthode d’être du peuple en démocratie, qui correspondent aux quatre temps de la vie démocratique : l’élection, la délibération, la décision, la rémission des comptes.
On entre donc, après examen et résolution du problème, dans l’aspect pratique de la question, et cette partie achève de donner tout son sens à la notion de traité politique, car l’auteur est bien conscient que c’est en se servant de ce registre-là, avec ses tenants et ses aboutissants, que l’on peut appréhender le pouvoir et en résoudre les contradictions.
L’ouvrage est donc rédigé dans l’idée que l’art politique est un instrument de gouvernement, et que son traité est un instrument de pensée du pouvoir politique. Ce qu’on doit retenir, c’est que la démocratie, de tous, est le régime le plus exigeant et le plus difficile parce que le plus subtil, celui qui, non sans méthode, réalise le plus fidèlement et le plus complètement la synthèse entre liberté des hommes et efficience du pouvoir.
Ses nouvelles règles, pas moins que la défiance envers les institutions, qui est une faiblesse de l’esprit, sont de mise à ce moment-là de l’histoire de la pensée politique. Novateur dans son propos, ce livre renoue avec une tradition qu’il ne fut pas oublier ou reléguer.
La critique que l’on pourra adresser n’est donc pas de l’ordre de la démonstration, qui est parfaite, mais de son contenu, car ce texte est un texte du présent, sur le présent et l’avenir de la démocratie. La première page de couverture, dans un esprit hobbesien, présente une couronne, juchée sur une foule d’individus, devenant peut-être le peuple, ce qui est le présupposé de la démocratie, à laquelle ce traité vient en aide, comme si, telle que nous la connaissons et telle que nous la pensons, la souveraineté du peuple, elle était une fin dernière et un aboutissement.
En démocrate, et ce mot assumé revient souvent, il est permis de souscrire à une telle idée. Mais l’auteur pourra me ranger à la frontière des pathologies relevées quant aux dérives du pouvoir en démocratie si je me risque à dire que la démocratie est une dérive du pouvoir, que pour l’amender, il faut la limiter dans son principe même, et qu’en elle-même, telle que l’histoire en a accouché, elle est un régime très imparfait, quoique subtil et exigeant, parce qu’il regorge de contradictions dans sa théorie, de détours et de complexité inutiles dans son fonctionnement, et d’effets pervers dans sa durée.
Mais là n’est pas la tribune d’un réquisitoire de la démocratie. La mise à distance de la démocratie électorale doit seulement nous faire prendre conscience qu’elle est, plus que tout autre, un régime périssable, dont les règles et le traité heurtent rapidement la conception de la cité idéale que nous offre la longue tradition philosophique issue de la pensée grecque et du christianisme.
« La démocratie, peut-on lire au fil de ces pages, c’est aussi l’expérience de la fin du pouvoir. » Elle est donc une expérience de l’imperfection, car il n’est pas dans la nature du pouvoir d’être fini, non plus que d’être assimilé à l’exercice qu’en fait son détenteur, ce que semble dire cette citation.
Si le pouvoir est ce par quoi tient une société, à travers ses lois civiles et ses lois politiques, tout porte à croire que la démocratie n’en est pas le meilleur garant, et que la notion de peuple-roi suffit à démontrer ses vices constitutifs.
enzo michelis
Pierre-Henri Tavoillot, Comment gouverner un peuple-roi ? Traité nouveau d’art politique, Odile Jacob, février 2019, 358 p. — 22, 90 €.
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