Six héritiers désignés, dont un seul héritera d’un magot de 46 millions de dollars — le dernier survivant. Belle vengeance post mortem…
Huitième roman de James Grippando publié en français, Le dernier à mourir est le troisième volet de la série centrée sur l’avocat Jack Swyteck, que l’on avait rencontré pour la première fois dans Le Pardon, paru chez Belfond en 1995 puis chez Pocket en 1999.
Fils du sénateur de Floride, Jack est avocat pénaliste — mais accepte toutes sortes d’affaires pour peu qu’elles ne lui semblent pas trop ennuyeuses. Lorsque son ami Theo Knight vient lui proposer de défendre les intérêts d’un ancien tueur à gages, Jack manque de suffoquer… mais ledit tueur est le frère aîné de Theo, Tatum, et il est désormais “rangé”. Surtout, Theo présente sa requête comme un service personnel — et Jack ne saurait refuser quoi que ce soit à Theo… De plus, l’histoire à laquelle est mêlé Tatum ne manque pas d’atouts pour susciter la curiosité de Jack : il figure sur le testament de Sally Fenning, une jeune femme abattue par balle en pleine rue à quelques jours de là. Une jeune femme qu’il avait rencontrée deux semaines auparavant parce qu’elle souhaitait recourir à son savoir-faire très spécial pour un “contrat” lui aussi très spécial : il s’agissait rien moins que de l’abattre elle.
Un contrat en effet pour le moins bizarre, d’autant que Sally est jeune, belle, et très riche : son second mari, dont elle vient de divorcer sous de confortables conditions financières, est un multimillionnaire français dont la fortune repose sur le cacao africain. Tatum affirme avoir refusé ce “travail”, et n’être en rien impliqué dans le meurtre effectivement perpétré. Dès la lecture du testament de Sally, Jack réalise que la bizarrerie de l’affaire ne s’arrête pas à cet étrange “contrat” : la jeune femme a désigné six personnes pour hériter de la totalité de sa fortune, soit… 46 millions de dollars. Mais pas question d’un banal partage : l’intégralité de la somme doit revenir à une seule personne — la denrière qui survivra aux cinq autres…
Qu’ils meurent, ou qu’ils renoncent à l’héritage : c’est, pour chacun, la seule chose à espérer des autres “héritiers”. D’ailleurs, ils commencent à tomber comme des mouches, l’un après l’autre… Secondé par Theo et Kelsey Craven, Jack enquête. Ses investigations le mèneront cinq ans en arrière, au cœur d’une sordide affaire non résolue : Sally avait été violemment agressée et sa petite fille de 4 ans assassinée. Remontent alors à la surface les liens putrides qui, dans l’ombre, relient tous ces héritiers.
À partir d’un noyau narratif qui fleure bon ses Dix petits Nègres, James Grippando développe un récit qui n’a pourtant rien à voir avec l’atmosphère feutrée des romans de la Reine du crime anglaise. L’ambiance générale est aux cadavres sanglants, aux gros flingues, et aux scènes d’action. Mais pas seulement : il y a aussi des scènes tendres — dont le sentimentalisme confine tout de même à l’eau de rose… — des séances d’audience au tribunal, de longs développements où les différents protagonistes échangent les résultats de leurs recherches et réflexions… Jusqu’à une “virée” africaine, à la faveur de laquelle est dénoncé avec pudeur et sans le moindre sensationalisme l’esclavage des enfants dans les plantations. Mélange douteux que tout cela ? Non point, car James Grippando a su doser avec une infinie habileté chacun de ces ingrédients, de même qu’il a subtilement joué de diverses tonalités narratives : l’humour de comédie — par exemple quand Theo teste la franchise de Javier, le garde du corps… — côtoie les passages plus sombres, tels ceux où sont évoqués les rapports fraternels complexes unissant Theo et Tatum. Et la petite note bariolée que vient mettre le départ précipité de Côte-d’Ivoire, avec son côté Bob Morane, n’a rien d’incongru.
Malgré la diversité des thèmes brassés et des registres narratifs convoqués, James Grippando réussit à composer un récit extrêmement prenant et efficace — mais qui ne brille guère par sa vraisemblance. Néanmoins, l’auteur montre un solide savoir-faire romanesque et parvient avec brio à éviter l’écueil du fourre-tout à pirouettes improbables.
Reste que l’on n’a pas affaire, ici, à de la “grande” littérature — en nul endroit la traduction ne laisse supposer que l’auteur nourrisse un quelconque amour du “mot pour le mot” ni qu’il s’efforce de choisir ses termes en poète, en fonction de leur musique, de leurs nuances intrinsèques. Ce n’est pas même du grand polar : à aucun moment le suspense n’est soutenu par une tension psychologique ou dramatique véritablement émouvante ; rien dans l’intrigue — malgré l’abondance de cadavres et le meurtre d’une enfant — ni son déroulement — bien que parfaitement huilé — ne boulverse de fond en comble.
Mais Le dernier à mourir est un excellent roman de divertissement, fort bien ficelé et dont la lecture repose de tout. C’est une bouffée de délassement délectable qui s’inhale à 50 à l’heure — comprenez “50 pages à l’heure” — dont il ne faut surtout pas se priver dès lors que le moral s’engage sur une pente descendante ou qu’on éprouve un léger besoin de vacances neuronales…
Pour en savoir plus sur James Grippando, ses romans… et trouver une biograpghie détaillée de Jack et Théo, visitez le site officiel de l’auteur — à condition d’être anglophone…
isabelle roche
James Grippando, Le dernier à mourir (traduit de l’américain par Bernard Ferry), Belfond coll. “Nuits noires”, mars 2006, 372 p. — 19,50 €. |