Les Sonnets de Shakespeare ont donné lieu à bien des controverses sur leur signification autobiographique et sur la nature des relations entre le poète, un jeune aristocrate et une femme brune perverse. Le tout écrit sur un temps plus ou moins disparate ce qui n’enlève en rien une unité de ton à l’ensemble.
Pacôme Thiellement, traducteur de cette nouvelle version, y va de son interprétation quand à la mystérieuse “black magic woman” issue de toute une tradition. Elle est d’autant fléchée que les sonnets que Thiellement retient sont ceux qui concernent la “Dark Lady”. Reprenant l’hypothèse de A. L. Rowse (via le journal du médecin et mage Thomas Thorpe, un proche de Shakespeare), le traducteur estime qu’il s’agirait de Emilia Lanier, la première poétesse de langue anglaise.
Lord Chamberlain Hudson — protecteur de la troupe pour laquelle Shakespeare écrira la plus grande partie de sa carrière — la prend pour maîtresse lorsqu’elle a 18 ans et que lui-même est âgé de 63 ans. Naît un enfant illégitime et pour sauver les apparences un mariage de convenance avec son cousin Alphonso Lanier a lieu.
Elle publie alors son unique livre : le Salve Deus Rex Judaeorum - sommet de la poésie gnomique mais qui demeura caché trois siècles (et reste inédit en français).
Nous retrouvons avec plaisir les sonnets de Shakespeare que Thiellement retraduit judicieusement pour renouveler tant et tant de versions. La sienne souligne l’intensité dramatique du désir et l’originalité des sonnets qui renversent les conventions littéraires de la Renaissance comme de celles de l’amour.
Cette version préserve la richesse des images et vise à faire entendre les harmonies du vers shakespearien. Le tout dans une certaine liberté d’interprétation afin de mieux en préserver la substance sans respecter les rimes, ce qui reviendrait à réduire la poésie shakespearienne en vers de mirliton.
jean-paul gavard-perret
William Shakespeare, Dark Lady — sonnets, traduction Pacôme Thiellement, Littérature Mineure, Rouen, 2019 — 31,00 €.