Matières de la veille et émotions du jour: entretien avec Sylvie Wozniak (Regarder le ciel)

De sa ville natale, Valence, à Genève via ses divers voyages, Syl­vie Woz­niak crée de superbes por­traits d’où jaillissent en “pay­sages” des échos de l’être. L’artiste y intro­duit des dis­jonc­tions tout en entrant en rap­port avec le vivant. Il y a là ordre et désordre.
Nous entrons dans la faille et la pré­sence que la pein­ture – volon­tai­re­ment – ne comble pas tout à fait dans ce qui tient d’un effet kaléi­do­scope mais aussi de l’extase immo­bile. L’oeuvre à la fois ras­semble et rompt pour débou­cher sur une zone incon­nue de rives qui d’ordinaire ne se laissent pas atteindre.

Sylvie Woz­niak les atteint. Dou­ceur, plé­ni­tude mais aussi séche­resse et une forme de vio­lence affectent cette effrac­tion que devient l’art dans son exi­gence la plus hautaine.

Syl­vie Woz­niak, Regar­der le ciel, Andata Ritorno, Genève, du 13 jan­vier au 6 juillet 2019.

Entre­tien : 

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La lumière, les sons, la vie autour. Renaître chaque jour et voir le monde. Me replon­ger dans les matières de la veille avec les émo­tions du jour.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Les enfants de mes rêves.

A quoi avez-vous renoncé ?
Encore rien. . Ou peut-être, être désespérée.

D’où venez-vous ?
Je ne me sou­viens pas vraiment.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
La vision.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Retrou­ver l’odeur de l’huile en entrant dans l’atelier. La sen­tir le soir sur ma peau.
Humer l’air de la cam­pagne en quit­tant la ville sur mon scoo­ter.
Lais­ser cou­ler l’eau chaude sur mon corps, debout dans le bac de douche, le plus long­temps.
Entendre le sang cir­cu­ler dans mes artères avant de m’endormir.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Mon point de vue. C’est ce qui dis­tingue tous les artistes.

Com­ment définiriez-vous vos por­traits ?
Ce sont des paysages.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Un tableau dans la salle à man­ger de mes parents. Ou plus exac­te­ment, une pho­to­gra­phie d’un tableau, dans un cadre doré. Il y avait une jeune femme vêtue d’une robe longue qui dan­sait pour dis­traire des hommes et des femmes assis sur des sofas. Il y avait des arbres et des ten­tures. Je pas­sais des heures à cher­cher à com­prendre et à lire les émo­tions sur le visage de la dan­seuse. Il y avait en moi une réso­nance très pro­fonde.
Je m’allongeais sur la canapé et ne pou­vais déta­cher mon regard de cette image.

Et votre pre­mière lec­ture ?
“Oui oui”, le pan­tin qui por­tait un cha­peau rouge avec un gre­lot. “Roule galette”, un conte avec un regard extrê­me­ment malin. “Le vieil homme et la mer” m’a beau­coup tou­ché. “L’écume des jours” à l’adolescence. “L’insoutenable légè­reté de l’être” et beau­coup d’autres de Kun­dera. Tout Ste­fan Zweig, abso­lu­ment tout.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Les musiques répé­ti­tives. Elles m’aident à me recen­trer. J’aime aussi beau­coup la tris­tesse dans la musique. Elle est le fon­de­ment du roman­tisme. Quand je tra­vaille c’est important.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je ne relis presque jamais. Mais peut être “Le petit théâtre de marion­nettes” de Kleist.

Quel film vous fait pleu­rer ?
C’est com­pli­qué, je pleure sou­vent et j’adore ça. Je ne pleure pas sou­vent de tris­tesse mais d’émotion.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Ce que je veux voir au moment même où je me vois.
Je vois donc une ”image” de moi.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A moi-même.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Rome et ma mai­son natale à Valence.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Jérôme Bosch, Le Cara­vage, Lucian Freud, Bill Violla, Ernest Pignon Ernest, Tony Scher­man, Mar­lène Dumas, Fran­çois Bard, Ghe­rhard Rich­ter, Franz Gertsch, Kanevsky, Jenny Saville…

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Une auto­ri­sa­tion pour pas­ser une nuit entière, seule, au Louvre. Et aussi, un chim­panzé. Je ne sau­rais pas qu’en faire mais cet ani­mal me fas­cine. Privé de la parole, il est un homme qui n’a pas de place dans la société.

Que défendez-vous ?
La déraison.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Cette phrase-là semble allé­ger consi­dé­ra­ble­ment ce concept d’amour créé par les hommes. Je vois des visages qui singent le bon­heur, l’ivresse et la folie.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Quelle liberté !

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
De quoi est-ce que je rêve aujourd’hui? Je n’ai bien sûr pas les vel­léi­tés d’y répondre.

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 7 juillet 2019.

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