Au début, il n’y avait rien ! Juste de l’eau salée et des cailloux. Combien de temps a duré ce statu quo ? Personne ne le sait exactement car il n’y avait personne pour compter.
Le soleil faisait son apparition avant de disparaître dans un embrasement de couleurs qu’aucun Monet, Turner n’a pu mettre sur toiles. Et puis il s’est passé quelque chose. Une forme d’intelligence a émergé du bouillon.
Le récit se projette de nos jours, dans un open space où une machine à café, ultramoderne et tendance, est en panne parce que personne ne sait qui doit remettre de l’eau. Pourtant, elle est écoresponsable, possède tous les labels en concordance avec la politique menée par la société d’édition où elle se trouve.
C’est un protozoaire qui apparaît en premier suivi, grâce à Mère Nature, par une kyrielle de cousins. Les millénaires ont passé, les différents protozoaires ont prospéré, se sont croisés pour donner naissance aux premières bestioles, les trilobites. Ceux-ci, moqués à l’aide jeux de mots balourds, ont fait place aux ascidies. Et, au fil des millénaires, des extinctions massives, l’évolution a fini par donner l’Homo sapiens.
Philippe Carrese, donne un roman absolument inclassable entre un livre scientifique, un roman sociologique, un essai à humour ravageur. Il raconte l’évolution à l’aune de nos références sociologiques, de nos repères technologiques. Il fait d’incessants va-et-vient entre la genèse de l’être humain et les composantes de notre société, truffant son récit d’anachronismes délicieux. Ainsi pour le protozoaire : “Les clubs de rencontre ne disposant pas d’Internet dans ces temps reculés, le premier contact entre deux protozoaires a été long à venir.“
Il choisit l’humour caustique dans la description des différentes espèces qui se sont succédé pour arriver à l’homo sapiens. Il utilise des situations d’aujourd’hui prises au sens premier des mots comme la maintenance d’un ascenseur qui fonctionne ou une employée chez un éditeur qui n’écrit pas de livres.
L’auteur donne une image mitigée du monde éditorial faisant dire d’un personnage qui utilise un vocabulaire relevé : “Elle ne fait pas partie de la maison car le vocabulaire utilisé est plutôt celui des écoles de commerce et des boites de com’.” Il reste dubitatif face à l’évolution de l’édition avec ces livres ridicules : “…soi-disant écrit par une gourde à grosse poitrine venue tout droit de la téléréalité.“
Carrese raconte la naissance des religions, les absurdités engendrées par ses extrémistes faisant par exemple, à partir d’un conte mineur de Guy de Maupassant, une insulte au prophète. Mais il décrit avec une réalité cinglante le quotidien de ces classes où les élèves ont “la capacité de concentration d’un banc de seiches, et le vocabulaire d’un GPS. »
Cependant, sous l’amusement, il assène quelques vérités, quelques observations pointues sur nos dérives, sur les contradictions de notre société. Il met en garde contre la conquête des entreprises par les Chinois et les conséquences plus que néfastes pour les populations locales. Une postface signée par Pierre-Gilles de Gènes clôture ce roman, une dernière pirouette humoristique de l’auteur.
Mais que la vie est cruelle ! Alors qu’il y a tant de personnes qui souhaitent mourir pour ne plus souffrir, tant de malfaisants dont la disparition ferait le bonheur de millions de gens, il a fallu que la camarde chère à Georges Brassens, emporte Philippe Carrese dans sa soixante-troisième année. Il avait encore à proposer tant de récits tous plus attractifs les uns que les autres marqués par cette verve, par ce sens aigu de l’observation, par cet humour si pertinent, si subtil qui était sa marque de fabrique.
Avec des images truculentes, des associations d’idées remarquables, il donne plus de 200 pages d’humour et de matière à réflexion. Et cela fait un bien fou.
serge perraud
Philippe Carrese, Une histoire de l’humanité tome 1 et fin, L’aube, coll. “Regards d’Ici”, avril 2019, 216 p. – 17,00 €.
Merci pour cette belle critique !