Celia Fremlin, L’Heure bleue

Une réédi­tion bien venue 

Ce roman, le pre­mier de quelques dix-huit opus, est paru en 1958. Bien qu’il rem­porte l’Edgar Allan Poe Award du pre­mier roman en 1959, il n’est tra­duit en fran­çais qu’en 1996. Pour une réédi­tion, Celia Frem­lin, en 1988, explique dans une pré­face qu’elle a vécu ce manque cru­cial de som­meil avec son second enfant qui se réveillait après minuit. Elle sait de quoi elle parle quant au manque de som­meil, expli­quant son état d’hébétude quand elle s’endormait en éplu­chant des pommes de terre ou pen­dant qu’elle fai­sait du repas­sage. 
Elle prend conscience que per­sonne n’avait traité sérieu­se­ment cet état qui a concerné et qui concerne tant d’individus, sur­tout des femmes. Pour­quoi n’écrirait-elle pas elle-même sur ce sujet ?

Louise Hen­der­son lutte contre le som­meil. Depuis sept mois Michael, son der­nier né, tient sa mère éveillée la plus grande par­tie de la nuit. La nurse qui suit ce bébé au déve­lop­pe­ment nor­mal la culpa­bi­lise, lui dit qu’elle s’inquiète trop et qu’elle com­mu­nique cette inquié­tude à l’enfant. Ajou­tée aux nuits blanches, la ges­tion de la mai­son, de son mari, de ses deux filles l’épuise.
L’arrivée du bébé entraîne des charges sup­plé­men­taires. C’est pour­quoi le couple a décidé de louer une de leurs chambres. La loca­taire poten­tielle, Miss Bren­don, mal­gré le désordre de la mai­son, décide de prendre la chambre et sou­haite emmé­na­ger dès le len­de­main. Quelques jours après, alors qu’elle s’apprête à don­ner la tétée de 22 heures, Louise entend hur­ler Michael dans sa chambre puis le trot­ti­ne­ment de pieds nus. Elle pense qu’il s’agit d’une de ses filles. Mais elles dorment à poings fermés.

Pour que son mari, ses filles et sa loca­taire puissent dor­mir, elle se réfu­gie dans l’arrière-cuisine. Mark, son mari, l’ayant trouvé au cœur de la nuit som­no­lente dans ce coin, s’inquiète, pense qu’elle a besoin de se dis­traire et décide de l’emmener voir un film du genre qu’elle affec­tionne. Après moult dif­fi­cul­tés pour trou­ver, au débotté, une nou­nou, c’est Mrs Hoo­per, une mère de famille éva­po­rée qui accepte. Elle arrive avec son fils Tony.
En sor­tant du cinéma, Louise ren­contre une ancienne amie. Autour d’un verre, celle-ci lui révèle qu’elle a donné son nom à Miss Bren­don. Louise est sur­prise car cette der­nière lui avait dit avoir répondu à son annonce.
Au retour, elle trouve Tony seul, Michael qui braille et Mrs Hoo­per absente. Et Tony raconte qu’il y a un espion dans la mai­son, il a vu Miss Bren­don fouiller dans le secré­taire du couple, exa­mi­ner les papiers. Il va plus loin disant qu’il la connaît, qu’elle était venue à une des réunions orga­ni­sées par sa mère et qu’il l’avait déjà sur­pris à fouiller chez eux.
Qui est Vera Bren­don ? Que cherche-t-elle ? Louise n’est pas au bout de ses sur­prises, de ses peurs…

La roman­cière brosse une gale­rie très réa­liste de por­traits, que ce soit celui de l’héroïne, de sa famille, de son entou­rage proche ou plus loin­tain. Elle met en scène la confron­ta­tion d’une femme épui­sée, débor­dée par toutes les tâches ména­gères qu’elle n’a plus la force d’effectuer avec les cer­ti­tudes énon­cées, avec les conseils, avec les pseudo-réponses qu’on lui offre en retour à ses inter­ro­ga­tions.
Peu à peu, elle perd pied voya­geant à la lisière entre réa­lité et rêve ou cauchemar.

Celia Frem­lin signe une intrigue sub­tile, tout en mys­tère, en inter­ro­ga­tions, en faux-semblants, en doutes… Elle dis­tille l’angoisse dans un quo­ti­dien douillet. Elle joue avec les per­son­na­li­tés de ses pro­ta­go­nistes, l’ordinaire d’un foyer fami­lial com­mun, l’entourage que l’on peut avoir dans une habi­ta­tion entou­rée d’autres mai­sons sépa­rées par un jar­din.
Le lieu, d’ailleurs n’est pas iden­ti­fié. Il y a une rue, des mai­sons, des jar­dins et, au loin, des struc­tures édu­ca­tives, sociales et pro­fes­sion­nelles. Mais elle reste dans le champ clôt d’une entité fami­liale, dans un décor domestique.

Nombre de se romans res­tent à tra­duire alors que des auteures comme Ruth Ren­dell, P.D. James la consi­dèrent comme l’une des maî­tresses du sus­pense psy­cho­lo­gique.
L’Heure bleue donne éga­le­ment, à tra­vers cette intrigue tirée au cor­deau, une vision socio­lo­gique de la société anglaise des années 50. Une réus­site totale !

serge per­raud

Celia Frem­lin, L’Heure bleue (The Hours Before Dawn), tra­duc­tion révi­sée de Marie-Thérèse Weal, Édi­tions du Masque, Prix du Masque de l’année étran­ger, juin 2019, 272 p. – 8, 50 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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