Marc Pautrel fait de chacun de ses livres un manuel ironique de survie. L’éternel printemps ne déroge pas à la règle. Il est vrai que son narrateur a le goût bon et judicieux : « J’avais vu juste, elle n’a personne dans sa vie actuellement. De son côté, elle sait que je suis séparé. Elle a été mariée, a divorcé, n’a pas d’enfants. Elle sort peu, mais elle aime aller au restaurant. Parler sans fin en mangeant est également un de mes grands plaisirs.»
Dès lors, le domaine de l’amour n’est pas forcément celui de la lutte lorsque la carte de restaurant peut servir de territoire du Tendre (steak compris).
La vie appartient à ceux qui de nouveau semblent découvrir une route tracée pour eux au moment où les avanies du passé paraissent s’aplanir. Apparemment et le plus confortablement, il est non seulement licite mais loisible de parler, imaginer, se souvenir, inventer une nouvelle vie et échanger.
Néanmoins, dans le jardin d’Eden dont les allées sont pavées de bonnes intentions, il y a encore des risques de tempête.
De leur pouvoir constituant apparaît toutefois un éternel présent. Tout pourrait donc devenir contrôlable. Mais c’est oublier qu’il n’existe plus de saisons. Les curseurs bougent et retournent certaines actions qui se voudraient efficaces dans la sphère de l’intimité.
D’autant que le narrateur — à l’inverse du jeune Pascal dont l’auteur remonta l’existence dans un de ses dernier livres — ne se contente pas de regarder la grande roue tourner et donner un sens à l’eau.
Il a l’impression (plus baudelairienne) d’être la plaie et le couteau, même s’il se croit fait pour une inéluctable union dont il serait l’artisan et l’outil. Mais il existe loin de la coupe aux lèvres.
Parce que la question de l’amour demeure immense et que, toujours, il voudra découvrir le lieu où vont se cacher les sentiments et leurs torsions.
jean-paul gavard-perret
Marc Pautrel, L’éternel printemps, Gallimard, coll. L’Infini, 2019.