Yukio Mishima, Confessions d’un masque

Double vie

Ce livre fut le pre­mier de l’auteur qui fut tra­duit en langue étran­gère. Pré­senté à Gal­li­mard par Mar­gue­rite Your­ce­nar qui aurait imposé la tra­duc­tion de ses livres en fran­çais par leur tra­duc­tion en anglais. Cette nou­velle tra­duc­tion repart du texte ori­gi­nal. Mishima, pour se “confes­ser”, crée un nar­ra­teur ano­nyme. Il est dési­gné très par­ci­mo­nieu­se­ment par un de ses sur­noms.
Néan­moins, l’auteur se montre tel qu’il fut : attiré par les gar­çons — d’abord confu­sé­ment. Trop ché­tif pour par­ti­ci­per à tous les exer­cices phy­siques, il a peur de se mon­trer et recherche un masque.

Enfant soli­taire et au teint blême, “rapté” par sa grand-mère à sa mère”, il se décrit  réservé, timide et plein de tact. Il est tou­chant dans la façon d’évoquer l’éveil de sa sen­sua­lité. Mais Mishima ne souffre pas de sa soli­tude et dans ses lec­tures d’enfants il se bâtit un monde de rêve où il aime plus les princes (condam­nés à mou­rir) que les prin­cesses.
Dans son refus du réel, sa décou­verte des sens se pro­duit par la vision d’une repro­duc­tion du célèbre tableau de la Renais­sance ita­lienne  du “Mar­tyr de Saint Sébas­tien”. Elle cause sa pre­mière éja­cu­la­tion. Mais pour évi­ter une trop grande cru­dité, il  écrit le terme en latin — ce qui ne fait qu’attirer l’attention par un tel voilement/dévoilement.

Vierge à 22 ans, le nar­ra­teur ren­contre une jeune femme Somoko lors de la fin de la Guerre du Paci­fique. Il veut rebâ­tir la réa­lité et se per­suade qu’il en est amou­reux et cela finit par un fiasco avant qu’il ne se retrouve entre autres dans des bars “louches” pour des rela­tions plus à sa conve­nance. Tou­te­fois, la part auto­bio­gra­phique nar­cis­sique est impor­tante dans ce roman où Mishima consi­dère avoir fait son auto-analyse.
Certes, cette fic­tion  crée une dis­tance iro­nique et une fausse mémoire. Mais les aller-retours entre le per­son­nage et le roman­cier sont constants dans leur hor­reur de vivre et la déchéance du corps masculin.

Ajoutons que ce livre fut à l’origine une com­mande d’un édi­teur amé­ri­cain. Ce qui crée de facto une autre dis­tance entre le per­son­nage  et son auteur.  Le pre­mier s’y veut vic­time et bour­reau à l’inverse de Mishima qui se mariera un temps — ne pou­vant faire autre­ment que de prendre un tel masque dans la société nip­pone de l’époque. Mais son épouse était au cou­rant de sa nature pro­fonde. Elle accepta sa double vie, ses déses­poirs et ses refus.
Les sen­sa­tions res­tent com­plè­te­ment vécues et prouvent com­ment, dans une écri­ture éton­nante impré­gnée de la lit­té­ra­ture fran­çaise (de Sten­dhal à Proust), l’auteur n’a cessé de cher­cher à res­sem­bler à ses lec­tures d’enfance face aux tabous. Entre autres ceux impo­sés par les mis­sion­naires amé­ri­cains même si, eux aussi , fré­quen­taient les bars gay.

jean-paul gavard-perret

Yukio Mishima, Confes­sions d’un masque, tra­duit du japo­nais par Domi­nique Palmé. Gal­li­mard, Paris, 2019, 235 p. ‚-20,00 €.

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