Entre l’écriture et la peinture, “le faux yankee” ( selon Mallarmé) Félix Fénéon, discret, dépouillé, laconique, a inventé les mots en liberté dignes du futuriste et une critique en feuilleton sous forme de “bulletins de la peinture” (idem). Philippe Peltier et Isabelle Kahn sont à la barre de deux expositions et d’un livre sur un écrivain caché mais repéré non seulement par Mallarmé, mais aussi par Valéry et Apollinaire même s’il s’est arrêté d’écrire très vite suite à son arrestation en tant qu’anarchiste.
Après 1893, il se tait. Enfin presque : il écrit beaucoup mais ne signe jamais de son nom. Ce qu’il écrit est parfait et selon des critères inimitables. En 1906 paraissent au “Matin” des nouvelles en 3 lignes pleines de précisions, d’humour macabre semblables à des sortes de haïkus dadaistes. Les faits divers sont développés en images : parlant de la tête d’un enfant tué par son père, Fénéon écrit: “sa boule roulait encore qu’il n’était déjà plus”. Et pour saluer celui qui tue un des enfants, il ajoute : “il lui en restais encore 11″.
Mais Fénéon est aussi un fantastique collectionneur d’art africain (entre autres). Froid et distant, il reste toujours généreux et achète les œuvres de jeunes artistes pour les défendre. Ses oeuvres seront vendues pendant la Seconde Guerre Mondiale pour se soigner avant sa mort en 1944 puis par sa femme en 1947. Toutes ses critiques sont pleines d’humour jusque dans les catalogues qu’il écrit (sans les publier) prouvent — en dehors des qualités littéraires - un oeil parfait.
Les deux expositions se complètent hors cloisonnement : au musée des arts premier par exemple, les oeuvres proposées sont plus larges que l’objectif réservé au lieu. Pour Fénéon, l’art océanien est “de l’invention pure”. Il est plus pertinent qu’un Picasso sur ce plan et il sait voir dans l’art africain ce qui compte.
S’il n’écrit pas à leur sujet, il soutient les travaux de Lucie Couturier qui va sur le terrain pour faire faire des copies des objets rituels selon une perspective moderne. Il existe pour lui et elle dans “l’art nègre” un art pur et vivant. Ces oeuvres sont pour eux gonflées d’ardeur même si cet art peut faner sous la présence occidentale.
jean-paul gavard-perret
Fénéon, critique, collectionneur, anarchiste, Isabelle Cahn, Philippe Peltier, Laurence Des Cars, Cécile Debray, La Procure, 2019 — 30,00€.,
– exposition au Musée du Quai Branly, puis Musée d’Orsay.