Sylvie Granotier, Un monde idéal

Entre consom­ma­tion et transcendance

Passion­née par les tou­pies et leurs mou­ve­ments per­pé­tuels, Syl­vie Gra­no­tier crée un uni­vers étrange dans le milieu des duchesses du crime. Ancienne lau­réate du prix “Mau­vais genre” de France Culture, l’auteure fut man­ne­quin puis comé­dienne et scé­na­riste. Elle est pas­sée du roman de jeu­nesse au polar éloi­gné du type pro­cé­du­rier pour celui capable de créer des éma­na­tions d’atmosphères à tra­vers une héroïne récur­rente : Cathe­rine Mon­si­gny.
Les his­toires de chair et de sang s’éloignent de tout cabo­ti­nage et rendent compte de la réa­lité plus que le ferait le docu­ment. L’auteure fait plon­ger dans la com­plexité de per­son­nages loin de toute théâ­tra­lité. Son avo­cate fétiche fut inven­tée à l’origine par un fait divers anglais où une petite fille fut retrou­vée endor­mie après l’assassinat de sa mère. Elle a ima­giné que cette petite fille, modèle de son per­son­nage, était cou­pable de cet assas­si­nat et pour cette cause est deve­nue avocate.

Néan­moins, ce polar n’est pas fémi­niste. D’autant que dans ce genre la fémi­nité est un faux pro­blème. Certes, il y eut bien des auteurs machistes, mais avant eux et au-dessus des Mary Shel­ley et bien d’autres écri­vaines ont tra­vaillé la vio­lence selon des angles par­ti­cu­liers. Le per­son­nage de l’avocate fon­dée sur une part d’enfance mys­té­rieuse est aussi ani­mée d’ambition et de revanche.
Et cela lui per­met d’en connaître plus sur les agis­se­ments de ses clients. Elle pénètre dans les miasmes de la psy­cho­lo­gie. Ce qui offre à l’auteure l’occasion de scru­ter des cas d’emprises où des per­son­nages perdent toute résis­tance jusqu’à se construire une sorte de confort trouble. Les réajus­te­ments inté­rieurs se font selon de nou­velles pro­tec­tions en pas­sant de celle d’une reli­gion et d’une radi­ca­li­sa­tion des­truc­tive vers une autre que la vic­time, après avoir embras­sée, veut quitter.

Sylvie Gra­no­tier n’est jamais dans le juge­ment des formes d’exaltation et de mys­ti­cisme qu’elle a ren­con­trées lorsqu’elle vécut sa pré­ado­les­cence au Maroc. Son Emi­lie envoû­tée veut se voi­ler pour s’extraire du mar­ché du sexe. A l’inverse, Cathe­rine se situe de manière dif­fé­rente. Et son propre viol, l’avocate ne le consi­dère pas comme tel.
Dans ce livre, les per­son­nages fémi­nins sont plus inté­res­sants que les hommes. Et ce, en un ren­ver­se­ment des règles du polar clas­sique : les hommes prennent les rôles des femmes (certes fatales d’antan) qui res­taient secondaires.

Existe tout un chan­ge­ment de valeurs, entre consom­ma­tion et trans­cen­dance, pour aller vers quelque chose qui n’est pas for­cé­ment le para­dis que fait briller le frère d’Emilie devant sa cadette. Dans ce but, Cathe­rine Mon­si­gny une nou­velle fois doit se ras­sé­ré­ner et se concen­trer sur elle-même, même si, pour une telle héroïne, ce n’est pas tou­jours facile tant la culture du pas­sion­nel et du reli­gieux vont à rebours de son fémi­nisme et ses a priori qui la braquent — un temps — contre celle et celui qui veulent la rou­ler dans leur farine.
Une nou­velles fois néan­moins, les tou­pies tour­nant, l’histoire s’envole au-delà de divers “cultes” qui s’opposent là où tout tente de coha­bi­ter plus ou moins en “harmonie”.

jean-paul gavard-perret

Syl­vie Gra­no­tier, Un monde idéal, Albin Michel, Paris, 2919.


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