Premier épisode d’un enquêteur samouraï aussi surprenant qu’attachant.
“Grands détectives” en Asie, c’était, jusqu’à présent, Robert Van Gulik et les aventures du juge Ti, dans la Chine impériale du VIIe siècle de notre ère. Depuis ce mois de septembre, c’est aussi le Japon féodal, celui des samouraïs (侍) du XVIIe, par Dale Furutani. Alors bien sûr, il serait un peu prétentieux de comparer les deux auteurs sur le fond, et sur la forme. Van Gulik est un monstre de la littérature policière, véritable spécialiste de la Chine. Dale Furutani n’en est qu’à ses débuts mais ils sont prometteurs.
Matsumaya Kaze est un samouraï, un ronin (浪人) : un sans-caste, un paria. Sa maîtrise du katana (刀) est parfaite, cela dit, son sensei (先生), son maître du Bushido (武士道), lui manque car il commet encore des erreurs de débutant. Un piège est grossièrement tendu ? Il ne peut s’empêcher de s’y jeter. Heureusement, il excelle dans son école du “Sans sabre”. Et un jeune et immature samouraï va apprendre, à sa grande honte, ce qu’elle est.
Notre samouraï a une mission sacrée. Retrouver la fille de son ancienne maîtresse (la femme de son maître, pas une femme que l’on rencontre dans les maisons de thé) enlevée lors de l’avènement du nouveau shogun (将軍), Tokugawa, et des guerres fratricides qui s’en sont suivies. Or, ses recherchent l’emmènent dans le village de Suzaka. Un meurtre vient d’être commis. Manase, le seigneur des lieux, ne semble pas pressé de mener l’enquête. Et Patron Kuemon et sa horde de bandits peuvent rançonner les voyageurs à cœur joie, la milice de Suzaka étant composée de bric et de broc.
Alors que son instinct est formel - il faut partir, s’occuper des affaires des autres ne peut apporter que des ennuis - Matsumaya Kaze décide de rester. Son passage à l’état de ronin l’amène à protéger le faible et l’opprimé et à remettre en cause tout son enseignement. Et principalement le célèbre Bushido, la Voie du guerrier.
Lire un roman de Dale Furutani, c’est s’immerger dans ce Japon aux traditions ancestrales qui, pour certaines, perdurent encore de nos jours. Chaque chapitre est agrémenté d’haiku (俳句) comme celui-là :
Des larmes, tel du sang sur un visage fantomatique.
Des obake demeurent en mon âme.
Les obake sont des esprits. Et justement, Matsumaya Kaze nous emmène à la découverte des esprits et des démons, à la découverte des arts nobles du samouraï — de la calligraphie au dojoji (comment ne pas y voir un hommage à Yukio Mishima ?), une danse aux subtiles variations du nô. La culture du pays y est sobrement décortiquée et se met au service d’une intrigue nette. Une trame principale — la promesse du samouraï — s’accompagne de quêtes secondaires. Matsumaya Kaze est un Robin des Bois japonais. Il aurait pu faire partie de la vaste fresque de Shi Naï-An et Luo Guan-Zhong, Au bord de l’eau (la plus grande fresque épique depuis l’Iliade et l’Odyssée d’Homère, avec ceci en commun que leurs auteurs respectifs ne sont que les derniers à l’avoir posée à l’écrit). Pour cela, il aurait fallu que l’armée japonaise ne s’enlise pas en Corée, et qu’elle atteigne les murailles de Chine !
En attendant, s’il n’a pu être confronté au clerc Wu Yang ni à Gong-sun Sheng (personnages d’Au bord de l’eau), il n’en demeure pas moins l’égal d’un autre ronin célèbre, Zatôichi, récemment (en 2003) réadapté au cinéma par Takeshi Kitano. Comme lui, il a grand cœur. En revanche, il n’est pas, ou ne se prétend pas, aveugle. Les amateurs du genre à trancher dans le vif du sujet à un contre cinq avec un katana sanglant que l’on essuie sur le kimono (着物) d’un tué après être sorti vainqueur de l’affrontement seront ravis. Ceux qui adorent les polars historiques et médiévaux asiatiques aussi. Les autres, ceux qui prendront ce livre par hasard, n’auront de cesse, une fois terminé, que de chercher le second épisode : Vengeance au palais de jade.
julien védrenne
Dale Furutani, La Promesse du samouraï (traduit par Katia Holmes), 10–18 coll. “Grands détectives” (n° 3814), septembre 2005, 254 p. — 7,80 €. |