Cet essai était jusque là resté inédit en français. Il permet de comprendre le lien qui unit Powys et Nietzsche. Les deux mêlent des cris de désespoir et d’enthousiasme. Il existe chez les personnages de Powys comme dans sa personnalité des déchirements et des oppositions comparables à ce qui existe dans l’oeuvre de Nietzsche.
L’auteur anglais rappelle l’importance du philosophe au moment où, écrit-il, “les voix du dissentiment se sont tues.” Mais, pour le premier, ce qui arrive est plus “grave” : la “foule” se met à l’accepter et c’est bien là le problème : “les prédicateurs le citent et les théologiens l’expliquent” et les malentendus s’ouvrent lorsque “l’approbation conventionnelle et apeurée” fait force de loi.
C’est aussi pour l’auteur une manière de préciser sa propre révolution poétique du langage. Révolution formelle et philosophique où les règles volent en éclat. Mais pour Powys les déconstructions de Nietzsche ne peuvent aller de pair avec ses apothéoses originales. Toutefois, et à lire ceux qui encensent désormais le Zarathoustra, peut transparaître la faiblesse possible du logos nietzschéen.
A moins que les laudateurs tentent tant bien que mal de recomposer l’oeuvre à leurs mains. Et ce, afin de faire croire que ses imprécations — et bien plus — ne seraient que des sortes de clins d’oeil. Ce qui serait un abus ou une pure spéculation que Powys a le mérite de souligner.
Preuve que l’Anglais reste un poète, romancier et philosophe d’envergure. Comme Nietzsche, il se forgea d’ailleurs très jeune une pensée personnelle puis vint le temps de l’errance aux États-Unis où il exerça la profession de conférencier itinérant pendant plus de vingt ans. Les exils des deux auteurs sont le moteur de leurs oeuvres qui, revisitant et refaçonnant le sens de la culture, s’inscrivent - pour reprendre un des titres de Powys — dans “une philosophie de la solitude”.
Cependant, une critique de l’Anglais peut apparaître en filigrane : son propre travail ne serait-il pas moins récupérable que celui de l’Allemand ? Mais le premier se trompe. Nietzsche reste plus fractal. Il fait abstraction des espoirs et les considérations sur les droits de l’individu que défendait Powys.
Existe donc dans cet essai une sorte de vengeance (placide) sous la critique pertinente d’une acceptation générale de l’œuvre de son alter ego.
jean-paul gavard-perret
John Cowper Powys, Nietzsche, Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2019, 48 p. — 11,00 €.
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