Un western australien récompensé par le Booker Prize en 2001, mélange de Robin des Bois et de Billy The Kid.
13 liasses de feuillets pour raconter la vie de Ned Kelly, hors-la-loi australien de la seconde moitié du XIXe siècle, et de son gang, hybride de Robin des Bois et de Billy The Kid. Ces feuillets sont un témoignage pour sa fille qu’il ne connaîtra pas et qui est partie, dès sa naissance, avec sa mère aux États-Unis, à la rencontre de l’American Dream. Ils peuvent être à en-tête de la National Bank ou rédigés au verso de prospectus pour une vente aux enchères de chevaux par Geo. Fisher & Fils, à Wangaratta, le 7 mai 1880 ! Ils peuvent être 45 ou 7. Écrits à la mine de plomb, détériorés par l’eau ou présentant des rousseurs. Ils suivent la chronologie de la courte vie, 26 ans, d’un fils d’émigré irlandais sur ce continent pénitentiaire.
À l’origine, une famille qui ne demande rien d’autre qu’un petit bout de terre pour élever des chevaux, tuer des kangourous, couper du bois et cultiver du blé. Et là, rien ne va. En proie au racisme des flics omnipotents et d’une élite bourgeoise qui cherche à asservir et à annihiler toute pensée, victime passive de mille petits puis gros bâtons dans les roues, la famille Kelly, qui représente donc toutes les familles irlandaises de Eleven Mile Creek, n’a d’autre choix que de se rebeller.
Ça commence par de petites rapines pour survivre sanctionnées par des châtiments disproportionnés. Ça suit avec de parfaites injustices sous le coup d’accusations infondées. Puis Ned Kelly se retrouve, bon gré mal gré, apprenti voleur sous la haute protection du célèbre Harry Power. Un bandit de grand chemin à l’intestin et aux pieds fragiles qui finira sa vie en prison suite à une dénonciation d’un membre du clan Kelly qui n’aura de cesse de faire porter le chapeau à Ned.
Ned est un être au grand cœur en proie à une révolte de plus en plus profonde et exacerbée. Ce petit adolescent qui devient homme trop tôt veut, par tous les moyens, subvenir aux besoins de sa famille depuis que son père a été enlevée par l’alcool et la justice. Kelly Sr a, en effet, été pendu après avoir brûlé sa propre maison alors qu’il était ivre. L’honnêteté ne paie pas, dans ce pays, et Ned se durcit davantage de jour en jour. Jusqu’à cette rencontre avec Mary Hearn, cette femme qui va bouleverser sa vie. Billy The Kid n’est plus seul. Robin des Bois a trouvé sa Marianne. Le gang n’est plus mené par un solo, mais par un duo. Clyde a trouvé Bonnie. Mais la voie qu’ils suivent n’est pas la bonne. Toutes les polices sont à leur poursuite. Et si Bonnie accepte de mourir aux côtés de Clyde, c’est qu’elle ne porte pas d’enfant. Mary Hearn, elle, s’efforce — mais en vain — de convaincre Ned de partir aux États-Unis. Ned sera abandonné pour une ultime bataille à Glenrowan.
Dans ce long et beau roman de 475 pages, les figures de style ne manquent pas. Tout est affaire d’épithète. Espèce d’épithète de ver de terre, s’exclame un Ned Kelly outré de tant d’injustice, au moment où les Quinn attirent l’attention des cognes et que son père est emprisonné. John Fitzpatrick, le flic pleutre, a été battu à la régulière par le plus grand épithète de boxeur qu’il ait jamais connu et a aimé l’épithète de moment d’une confrontation verbale entre Ned Kelly et le préfet et son expression sur [son] épithète de face de ce s—-d.
En parlant de s—-d, c’est tout le texte qui en est parsemé. Outre les fameux épithètes, on se délecte au son des f—-es d’imbéciles et des nombreux b—-e qui sont mangés à toutes les sauces. La ponctuation est quasi inexistante ; à l’exception de quelques points en fin de phrase, c’est une absence totale. Ce qui n’enlève en rien à la poésie du texte et à sa rythmique :
Il était resté sur sa selle à me regarder il avait les yeux bleus et les cheveux couleur de sable et le visage t. brûlé par le soleil moins de 28 a. il était beaucoup plus jeune que ma mère.
En plus, les abréviations sont nombreuses (“t.” pour “très”, “a.” pour “ans”, dans cet exemple ou encore “½” pour, selon les cas, “mi-”, “demi” ou “moitié”) mais la lisibilité du texte n’en souffre pas et l’harmonie que reflètent ces liasses d’un journal trempé de sueur et de sang est respectée.
Véritable histoire du Gang Kelly, roman basé sur un fait réel et qui est une transposition du mal-être d’une génération d’Irlandais, qu’ils soient au pays ou expatriés, est un pur joyau littéraire. La lecture en est jouissive et Peter Carey un “véritable” auteur. Il a d’ailleurs été récompensé par deux Booker Prize, haute distinction anglophone s’il en est, pour L’Écornifleur, en 1988, et pour ce roman, en 2001. Vous pouvez, d’ailleurs, découvrir la liste des lauréats sur le site dédié à ce prix et découvrir que cet auteur est plutôt bien entouré, au milieu de Ian McEwan, Arundhati Roy ou Ben Okri, pour ne citer que les plus récents.
C’est le troisième roman de Peter Carey publié chez 10–18 après l’excellent Oscar et Lucinda (coll. “Domaine étranger” n° 3054) et Jack Maggs (coll. “Domaine étranger” n° 3198) que je n’ai pas lu !
julien védrenne
Peter Carey, Véritable histoire du gang Kelly (traduit par Elizabeth Peellaert), 10–18 coll. “Domaine étranger” (n° 3671), mars 2005, 475 p. — 9,30 €. |