Premier volet d’une tétralogie noire, très noire, pendant les Swinging Sixties à Londres.
Crime Unlimited suit les péripéties de Harry Starks, un gangster aux bonnes manières, propriétaire d’un night-club démodé pendant les Swinging Sixties à Londres. Le roman se compose de cinq parties qui sont aussi cinq tranches de vie de cinq témoins qui rapportent une période de leur vie et de celle de Starks. Certaines se chevauchent.
En premier lieu, il y a Terry, un amant qui souhaite le quitter et se retrouve embarqué dans une arnaque qui foire. Le roman commence alors par une scène à la Reservoir Dogs. Starks entonne There’s no business like no business alors qu’on s’attendrait à Stuck in the middle with you. Dans son rôle de psychopathe, Starks est parfait. Armé d’un tisonnier, il s’approche dangereusement d’un Terry qui a tenté de le doubler et qui est attaché à une chaise.
Starks est un pédé. Et il assume ce nom. Quand un petit ami le trompe ou le trahit, il s’en débarrasse et en trouve un autre, encore plus joli. Lord Thursby, deuxième des cinq témoins, est un politicien corrompu qui va entraîner Starks dans une combine africaine d’autant plus louche qu’elle s’enlisera péniblement et qu’il faudra aller voir sur place ce qui s’y trame. Jacky the Hat, le troisième, vit sa vie à cent à l’heure. Le crack est son pain quotidien. Les embrouilles sont ses apéritifs. Et à force d’en bouffer, des embrouilles, il finira par exploser avec l’ultime de celles-ci. Car la patience des jumeaux Ron et Reg a ses limites et Starks le laissera, lassé, en pâture. Ruby, quatrième témoin, a la beauté qui commence à la fuir. C’est une starlette de seconde, voire de troisième zone. Alors qu’elle s’occupe des filles du Stardust, la boîte de Starks, elle voit ce dernier acculé et traqué comme une bête féroce par la justice et abandonné par le traître de service, Mooney, de la Brigade des mœurs.
Enfin, Lenny est un criminologue averti qui découvre Starks en prison. Alors que Starks fait tout pour obtenir une conditionnelle, il échoue et se résout, après dix années passées derrière les barreaux, à s’enfuir. Son seul allié sûr restera alors Lenny avec lequel il partira en Espagne, pays qui ne l’extradera pas.
Cinq tranches de vie qui recoupent en quelques endroits l’existence d’un gangster à la fois gentleman et cruel. Avec Jake Arnott, si le crime paie, il est avant tout sale, très sale. Et personne ne peut faire confiance à personne. Cette Angleterre des Swinging Sixties est pourtant belle et tout empreinte d’une douce nostalgie. Le roman rebondit sans cesse par sa narration qui diffère selon les protagonistes. Avec Terry, c’est une alternance de présent et de flashes back. Lord Thursby nous plonge dans la lecture de son journal alors que Ruby est devant nous à raconter son histoire et que Lenny nous procure la joie du direct live.
Harry Starks finit par nous fasciner comme il a conquis ses autres victimes. Ce personnage froid, distant et sûr dans ses gestes a un côté irréel, fantomatique voire vampirique. Sa prestance n’a d’égal que son sang froid. Et en même temps, on le plaint. Car Harry Starks ne peut compter que sur lui-même et ne trouvera le repos que dans la mort. L’amour ? Il n’en est pas question. Ou alors, il est maternel.
Avec Crime Unlimited, c’est surtout le premier volet d’une tétralogie qui s’ouvre et laisse augurer de grands moments de lecture jouissive. Le second, Crime Song, vient tout juste de paraître chez 10–18 (n° 3825, toujours en “Domaine étranger”).
julien védrenne
Jake Arnott, Crime Unlimited (traduit de l’anglais par Colette Carrière), 10–18 coll. “Domaine étranger” (n° 3772), avril 2005, 415 p. — 9,30 €. |