François Schuiten, Jaco Van Dormael, Thomas Gunzig & Laurent Durieux, Une aventure de Blake et Mortimer — “Le Dernier Pharaon”

Mais qui est le Der­nier Pharaon ?

C’est le déclic lorsque Daniel Cou­vreur, un jour­na­liste du quo­ti­dien Le Soir, montre à Fran­çois Schui­ten les quelques lignes d’une note inédite lais­sée par Edgar P. Jacobs. Fran­çois Schui­ten, que l’on ne pré­sente plus tant son œuvre est riche, appré­ciée des ama­teurs de belles bandes des­si­nées comme de planches minu­tieu­se­ment peau­fi­nées, voit l’occasion de créer une pas­se­relle entre son œuvre et celle de Jacobs, une œuvre qu’il admire depuis tou­jours.
Né en 1956, Fran­çois Schui­ten a pu dès l’enfance se réga­ler avec Le Mys­tère de la Grande pyra­mide, publié en deux tomes en 1954 et 1955 et Le Secret de l’Espadon, la pre­mière aven­ture des héros publiée en albums en 1950 et 1953.

Dans la pyra­mide de Khéops, au Caire, Blake et Mor­ti­mer reprennent péni­ble­ment conscience mais ne gardent aucun sou­ve­nir de leur aven­ture dans la chambre du roi. Quelques années plus tard, Mor­ti­mer pénètre dans la salle des pas per­dus du Palais de Jus­tice de Bruxelles et rejoint Henri qui lui a demandé de venir rapi­de­ment. Celui-ci a été inter­pellé par un niveau de rayon­ne­ment élec­tro­ma­gné­tique colos­sal. Dans les tré­fonds du palais, des tra­vaux ont décou­vert un mur qui mas­quait le bureau de Poe­laert, l’architecte du monu­ment. Sur une table de tra­vail, ils découvrent les plans ori­gi­naux. Mais depuis tous les appa­reils élec­triques ne fonc­tionnent plus.
Henri atten­dait Mor­ti­mer pour aller au-delà d’un mur sur lequel le Pro­fes­seur recon­naît le signe de Seth, le dieu du chaos. Il ouvre une brèche qui laisse pas­ser un intense rayon­ne­ment. Henri se pré­ci­pite, Mor­ti­mer recule et le pas­sage s’effondre sous la vio­lence du souffle. Celui-ci s’intensifie, enfle et embrase tout le Palais. Plus rien ne fonc­tionne. Bruxelles est éva­cué et il faut des mois pour conte­nir le rayon­ne­ment avec une cage de Fara­day géante. Bruxelles est aban­don­née. Cepen­dant, un groupe d’opposants a remis en état une loco­mo­tive à char­bon pour libé­rer le rayon­ne­ment et en finir avec les banques, l’argent élec­tro­nique, les dettes des Etats, du Tiers-monde…
Et ils ouvrent une brèche qui a pour consé­quences de mettre en panne tout ce qui fonc­tionne avec l’électricité, le magné­tisme. C’est l’effondrement de l’économie mon­diale. Seul Mor­ti­mer est capable de mettre fin à ce fléau. Blake reste à Londres car une solu­tion mili­taire avec des ogives nucléaires est mise en œuvre. Il envoie Mor­ti­mer clan­des­ti­ne­ment à Bruxelles…

La “Grande pyra­mide” de Fran­çois Schui­ten est le Palais de Jus­tice de Bruxelles, un magni­fique monu­ment qui trône sur la place Poe­laert. D’une sur­face au sol de 26 000 m², il est plus vaste que la Basi­lique Saint-Pierre de Rome. L’auteur a déjà uti­lisé ce décor dans sa magni­fique série des Cités obs­cures, par­ti­cu­liè­re­ment dans le tome titré “Brü­sel”.
Avec le concours de Jaco Van Dor­mael et de Tho­mas Gun­zig pour construire un scé­na­rio, il se lance pour une aven­ture ori­gi­nale de Blake et Mortimer.

A l’appui de nom­breuses réfé­rences à l’œuvre de Jacobs, dont le célé­bris­sime Par Horus, demeure !, les scé­na­ristes intro­duisent des thé­ma­tiques d’une actua­lité brû­lante. C’est la fra­gi­lité de la société basée entiè­re­ment sur une seule source d’énergie, l’évocation d’un retour vers l’essentiel et la fin du gas­pillage, le dan­ger nucléaire avec tous les infâmes va-t-en-guerre à la tête de puis­sances dan­ge­reuses, les migra­tions, l’argent élec­tro­nique.…
Les auteurs mul­ti­plient les péri­pé­ties et mettent un Mor­ti­mer vieillis­sant dans nombre de situa­tions cri­tiques. Lui– même n’exprime-t-il pas ce fait alors qu’on le pré­pare pour le para­chu­ter sur Bruxelles : “Est-ce que vous réa­li­sez que nor­ma­le­ment, à mon âge, la plu­part des gens se contentent d’emmener leurs petits-enfants au cinéma avant d’aller man­ger une glace ?” Mais, dans ce volume, Olrik est le grand absent, même son ombre malé­fique a dis­pa­rue. Il est avan­ta­geu­se­ment rem­placé par une jeune femme pré­nom­mée Lisa, une migrante égyp­tienne qui joue un rôle pri­mor­dial dans ce qu’est devenu le Palais de Justice.

Le gra­phisme est l’œuvre de Fran­çois Schui­ten pour le des­sin et de Laurent Durieux pour la mise en cou­leurs. Les planches sont somp­tueuses. Les décors, la faune nou­velle, la puis­sance des élé­ments, des flux sont ren­dus avec un art lumi­neux. Le dyna­misme des actions est mémo­rable. Si les visages vieillis de Blake et de Mor­ti­mer demandent quelques pages d’adaptation, éloi­gnés qu’ils sont de leur repré­sen­ta­tion habi­tuelle, ils se révèlent très atta­chants et faciles à iden­ti­fier.
Mais Fran­çois Schui­ten reste le meilleur dans la réa­li­sa­tion des décors. Là, il pro­pose des vues fan­tas­tiques des monu­ments, des maté­riels… Ne retrouve-t-on pas une loco­mo­tive qui res­semble à celle mise en scène dans son album La douce ?

Quel dom­mage que Fran­çois Schui­ten aban­donne la bande des­si­née ! Quelle perte pour ce genre lit­té­raire quand on voit la splen­deur de cet album !

serge per­raud

Fran­çois Schui­ten, Jaco Van Dor­mael & Tho­mas Gun­zig (scé­na­rio), Fran­çois Schui­ten (des­sin), Laurent Durieux (cou­leur), Une aven­ture de Blake et Mor­ti­mer — “Le Der­nier Pha­raon”, Dar­gaud, mai 2019, 92 p. – 17,95 €.

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