Suivez Johnny Sosa, le noir édenté et ses belles ballades en Uruguay alors que la junte militaire s’installe.
Longtemps l’Amérique du Sud a vécu sous les bottes des dictatures. Comme toujours dans ces cas-là, tout ce qui est synonyme de culture est honni. Pour l’écrivain, comme pour les autres, le choix est cornélien : l’exil ? la lutte ?… Toujours est-il que, dans sa patrie, il est muselé. Il en a été ainsi pour Mario Delgado-Aparain. En 1973, les militaires s’emparent du pouvoir en Uruguay. Ils le garderont onze ans.
Avec La Ballade de Johnny Sosa, Mario Delgado-Aparain raconte une prise du pouvoir en douceur d’une junte militaire qui, peu à peu, se dévoile être brutale. À Mosquitos, le village de Johnny Sosa, un jeune Noir édenté chanteur de rock dans un bordel, les militaires arrivent sur la pointe des pieds. Ils s’installent à la lisière du village.
Johnny Sosa écoute tous les matins L’heure fertile de l’aube, l’émission radio de Melías Churi. En ce moment, elle est consacrée au chanteur blanc Lou Brakley dont la destinée est à la hauteur des rêves de Johnny Sosa. Découvert dans la rue, pris sous la férule d’un producteur, il devient star. Notre histoire à nous se corse lorsque les militaires interdisent l’émission et remplacent la musique nord-américaine par celle du pays. Peu à peu, différentes personnalités du village sont arrêtées pour des motifs divers et variés. La femme du dentiste est obligée de vendre leur maison pour une poignée de pain. Les militaires du colonel Werner Valerio investissent alors un peu plus le village.
Pendant ce temps, Johnny Sosa fusionne avec la belle Dina la Blonde. Celle-ci le persuade d’aller voir le Colonel. Le chanteur de rock se transforme en chanteur de boléro et gagne de nouvelles dents. Les gens le regardent autrement et Johnny prend conscience qu’il n’agit pas pour son peuple. Il commence à se montrer critique à l’égard d’un régime qui cherche à fermer le bordel de Mosquitos. Johnny Sosa reprend sa guitare, sa fameuse Blake Diamond. Les militaires n’auront de cesse de la reprendre en même temps que ses dents alors que Melías Churi lui raconte la fin de la vie de Lou Brakley.
Luis Sepúlveda raconte comment il a connu cet auteur et comment ce livre, dans sa version uruguayenne, est parvenu entre ses mains alors qu’il se rendait en train en Suède. Il explique aussi l’impact de Mario Delgado-Aparain sur la littérature sud-américaine. Il est à noter que cet auteur inconnu de lui en 1993 ne l’est plus aujourd’hui. Ces deux écrivains commettent un forfait de première aux mêmes éditions Métailié : Les Pires contes des frères Grim.
Pour ce qui est du présent roman, c’est un petit bijou où la dimension sociale se mélange à la poésie. Chacun des personnages a son propre caractère qui donne du corps à l’univers de Mario Delgado-Aparain, indéniablement un grand romancier. Justifiant le fait que quand un pays vit l’histoire, quand les dictatures cherchent à faire taire toutes sortes d’arts, ils les subliment.
julien védrenne
Mario Delgado-Aparain, La Ballade de Johnny Sosa (trad. de l’espagnol — Uruguay — par Jeanne Peyras), Métailié coll. “Suites” (vol. n° 112), octobre 2005, 106 p. — 7,00 €. |
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En recherchant la littérature sud américaine, je suis tombée sur ce titre. A la Médiathèque le livre de 1995 était déjà au rebut mais ils ont bien voulu le rechercher pour moi. Ce récit m’afait une grande impression par son sujet et par la façon dont il est raconté. Existe-t-il un pays d’Amérique du Sud où les écrivains n’aient pas été poursuivis et incarcérés ?