Une réunion plus ou moins improvisée, dont les invités semblent coutumiers, se prépare chez le docteur Stockmann. Le cercle de ses amis, sa femme, sa fille l’entourent chaleureusement. On s’accommode visiblement sans peine des frasques du médecin, personnage haut en couleur, homme providentiel qui a eu l’idée d’installer les établissements thermaux devenus principale ressource de la municipalité. Arrive le préfet, son frère, administrateur de l’établissement de soins, de toute évidence moins sensible à l’originalité du praticien. Les deux frères, le préfet et le docteur, représentent deux types sociaux : le garant de l’ordre et le savant intuitif, respectivement parangon de l’éthique de la responsabilité et de l’éthique de conviction.
C’est bien une pièce sur l’éthique, propre à solliciter nos consciences. Le médecin, guidé par son flair, a fait analyser l’eau des thermes. Il reçoit les résultats lors de cette réunion, découvre qu’elle est infectée, qu’elle peut provoquer de graves contaminations. Son mouvement spontané est de dire ouvertement ce qu’il en est. En toute confiance. Seulement voilà, une fois partagée, la nouvelle enflamme les esprits et devient objet de controverse, grave pomme de discorde. Dès lors, la question devient de savoir si on révèle la vérité, au risque de renoncer à la prospérité, ou bien si on défend la réputation de la ville, fût-ce au prix d’une falsification dont les conséquences pourraient être dramatiques.
La pièce d’Ibsen est forte, s’impose d’elle-même et prête à débat. Ce dont François Sivadier s’empare avec brio en attisant le propos par un décor baroque (d’une transparence menaçante, il convoque des meubles précaires et des jeux d’eaux), par un casting serré d’actrices et d’acteurs brillants, qui en jouant intensément ensemble mettent en avant et en lumière la personnalité du médecin.
Dès lors, la complexité des délibérations est occultée, le jeu de Nicolas Bouchaud est magnifié : quand il se lâche, au lieu de donner la parole au public - comme cela a déjà été fait, puisque l’auteur indique que de nombreuses voix s’élèvent dans la salle - il procède à une mise en abyme du dilemme qui tiraille son personnage en s’engageant dans une tirade qui fustige l’art dramatique.
Une prestation échevelée et efficace, pour clore un spectacle réussi, qui traite un sujet grave sans être pesant, qui parvient à faire rire sans occulter les enjeux de la pièce.
Une représentation réjouissante et nourrie, édifiante et vivifiante.
manon pouliot et christophe giolito
Un ennemi du peuple
d’Henrik Ibsen
mise en scène Jean-François Sivadier
avec
Sharif Andoura, Cyril Bothorel, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Cyprien Colombo, Vincent Guédon, Jeanne Lepers, Agnès Sourdillon.
Collaboration artistique Nicolas Bouchaud, Véronique Timsit ; scénographie Christian Tirole et Jean-François Sivadier ; lumière Philippe Berthomé, Jean-Jacques Beaudoin ; costumes Virginie Gervaise ; son Ève-Anne Joalland ; accessoires Julien Le Moal ; maquillage Noï Karuna ; régisseuse, habilleuse Valérie de Champchesnel ; électricien poursuiteur Karim Labed ; régie générale Dominique Brillault ; Bernard de Almeida ; construction du décor Ateliers MC2 : Grenoble ; peinture du décor Blandine Leloup, Catherine Rankl ; assistants à la mise en scène Véronique Timsit, Rachid Zanouda ; administration et diffusion François Le Pillouer.
Au théâtre de l’Odéon, place de l’Odéon, 75006, du 10 mai au 15 juin, 20h du mardi au samedi, 15h le dimanche. Relâche les 12 mai et 2 juin. Représentation surtitrée en anglais le samedi 25 mai.
durée 2h35
https://www.theatre-odeon.eu/fr/saison-2018–2019/spectacles-1819/un-ennemi-du-peuple
Un ennemi du peuple, d’Henrik Ibsen, traduit par Eloi Recoing paru chez Acte Sud-Papiers, en libraire dès le 6 mars 2019.
Production déléguée : Cie Italienne avec Orchestre
Coproduction : MC2 : Grenoble ; Odéon-Théâtre de l’Europe, Théâtre National de Strasbourg ; Théâtres de la Ville du Luxembourg ; Le Théâtre de Caen ; Le Quai-CDN Angers Pays de la Loire ; La Criée Théâtre National de Marseille ; Théâtre Firmin Gémier / La Piscine.
La compagnie Italienne avec Orchestre est aidée par le Ministère de la Culture / Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Île-de-France, au titre de l’aide aux compagnies et ensembles à rayonnement national et international
Création du spectacle à la MC2 : Grenoble le 7 mars 2019
Remerciements aux éditions Fario de nous avoir donné la permission d’utiliser des passages de l’ouvrage de Günther Anders, La Violence : oui ou non (2014).
Remerciements à : La Colline – Théâtre national, MC93 Bobigny, Théâtre National de Bretagne, Théâtre 71 de Malakoff