Un ennemi du peuple (Henrik Ibsen /Jean-François Sivadier)

De l’éthique de la réputation 

Une réunion plus ou moins impro­vi­sée, dont les invi­tés semblent cou­tu­miers, se pré­pare chez le doc­teur Sto­ck­mann. Le cercle de ses amis, sa femme, sa fille l’entourent cha­leu­reu­se­ment. On s’accommode visi­ble­ment sans peine des frasques du méde­cin, per­son­nage haut en cou­leur, homme pro­vi­den­tiel qui a eu l’idée d’installer les éta­blis­se­ments ther­maux deve­nus prin­ci­pale res­source de la muni­ci­pa­lité. Arrive le pré­fet, son frère, admi­nis­tra­teur de l’établissement de soins, de toute évi­dence moins sen­sible à l’originalité du pra­ti­cien. Les deux frères, le pré­fet et le doc­teur, repré­sentent deux types sociaux : le garant de l’ordre et le savant intui­tif, res­pec­ti­ve­ment paran­gon de l’éthique de la res­pon­sa­bi­lité et de l’éthique de convic­tion.
C’est bien une pièce sur l’éthique, propre à sol­li­ci­ter nos consciences. Le méde­cin, guidé par son flair, a fait ana­ly­ser l’eau des thermes. Il reçoit les résul­tats lors de cette réunion, découvre qu’elle est infec­tée, qu’elle peut pro­vo­quer de graves conta­mi­na­tions. Son mou­ve­ment spon­tané est de dire ouver­te­ment ce qu’il en est. En toute confiance. Seule­ment voilà, une fois par­ta­gée, la nou­velle enflamme les esprits et devient objet de contro­verse, grave pomme de dis­corde. Dès lors, la ques­tion devient de savoir si on révèle la vérité, au risque de renon­cer à la pros­pé­rité, ou bien si on défend la répu­ta­tion de la ville, fût-ce au prix d’une fal­si­fi­ca­tion dont les consé­quences pour­raient être dramatiques.

La pièce d’Ibsen est forte, s’impose d’elle-même et prête à débat. Ce dont Fran­çois Siva­dier s’empare avec brio en atti­sant le pro­pos par un décor baroque (d’une trans­pa­rence mena­çante, il convoque des meubles pré­caires et des jeux d’eaux), par un cas­ting serré d’actrices et d’acteurs brillants, qui en jouant inten­sé­ment ensemble mettent en avant et en lumière la per­son­na­lité du méde­cin.
Dès lors, la com­plexité des déli­bé­ra­tions est occul­tée, le jeu de Nico­las Bou­chaud est magni­fié : quand il se lâche, au lieu de don­ner la parole au public - comme cela a déjà été fait, puisque l’auteur indique que de nom­breuses voix s’élèvent dans la salle - il pro­cède à une mise en abyme du dilemme qui tiraille son per­son­nage en s’engageant dans une tirade qui fus­tige l’art dramatique.

Une pres­ta­tion éche­ve­lée et effi­cace, pour clore un spec­tacle réussi, qui traite un sujet grave sans être pesant, qui par­vient à faire rire sans occul­ter les enjeux de la pièce.
Une repré­sen­ta­tion réjouis­sante et nour­rie, édi­fiante et vivifiante.

manon pou­liot et chris­tophe gio­lito


Un ennemi du peuple

d’Henrik Ibsen

mise en scène Jean-François Sivadier

avec
Sha­rif Andoura, Cyril Botho­rel, Nico­las Bou­chaud, Ste­phen Butel, Cyprien Colombo, Vincent Gué­don, Jeanne Lepers, Agnès Sourdillon.

Col­la­bo­ra­tion artis­tique Nico­las Bou­chaud, Véro­nique Tim­sit ; scé­no­gra­phie Chris­tian Tirole et Jean-François Siva­dier ; lumière Phi­lippe Ber­thomé, Jean-Jacques Beau­doin ; cos­tumes Vir­gi­nie Ger­vaise ; son Ève-Anne Joal­land ; acces­soires Julien Le Moal ; maquillage Noï Karuna ; régis­seuse, habilleuse Valé­rie de Champ­ches­nel ; élec­tri­cien pour­sui­teur Karim Labed ; régie géné­rale Domi­nique Brillault ; Ber­nard de Almeida ; construc­tion du décor Ate­liers MC2 : Gre­noble ; pein­ture du décor Blan­dine Leloup, Cathe­rine Rankl ; assis­tants à la mise en scène Véro­nique Tim­sit, Rachid Zanouda ; admi­nis­tra­tion et dif­fu­sion Fran­çois Le Pillouer.

Au théâtre de l’Odéon, place de l’Odéon, 75006, du 10 mai au 15 juin, 20h du mardi au samedi, 15h le dimanche. Relâche les 12 mai et 2 juin. Repré­sen­ta­tion sur­ti­trée en anglais le samedi 25 mai.

durée 2h35

https://www.theatre-odeon.eu/fr/saison-2018–2019/spectacles-1819/un-ennemi-du-peuple

Un ennemi du peuple, d’Henrik Ibsen, tra­duit par Eloi Recoing paru chez Acte Sud-Papiers, en libraire dès le 6 mars 2019.

 

Pro­duc­tion délé­guée : Cie Ita­lienne avec Orchestre

Copro­duc­tion : MC2 : Gre­noble ; Odéon-Théâtre de l’Europe, Théâtre Natio­nal de Stras­bourg ; Théâtres de la Ville du Luxem­bourg ; Le Théâtre de Caen ; Le Quai-CDN Angers Pays de la Loire ; La Criée Théâtre Natio­nal de Mar­seille ; Théâtre Fir­min Gémier / La Piscine.

La com­pa­gnie Ita­lienne avec Orchestre est aidée par le Minis­tère de la Culture / Direc­tion Régio­nale des Affaires Cultu­relles d’Île-de-France, au titre de l’aide aux com­pa­gnies et ensembles à rayon­ne­ment natio­nal et international

Créa­tion du spec­tacle à la MC2 : Gre­noble le 7 mars 2019

Remer­cie­ments aux édi­tions Fario de nous avoir donné la per­mis­sion d’utiliser des pas­sages de l’ouvrage de Gün­ther Anders, La Vio­lence : oui ou non (2014).

Remer­cie­ments à : La Col­line – Théâtre natio­nal, MC93 Bobi­gny, Théâtre Natio­nal de Bre­tagne, Théâtre 71 de Malakoff

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