Un triangle amoureux peu banal
À partir d’un meurtre dont on connait le coupable, dont on connait la victime et les mobiles, Anna Ekberg conçoit une histoire diabolique avec le célèbre triangle amoureux. Elle exploite toutes les possibilités romanesques autour de question essentielle dans le roman criminel inversé : le coupable pourra-t-il échapper à la justice ? Et là, la romancière fait plus fort, annonçant d’emblée que la police n’a jamais rien pu prouver. Elle livre alors un récit d’une grande profondeur psychologique alliée à un art démoniaque pour les retournements de situations.
Elle explore de multiples pistes, développe nombre d’intrigues secondaires, détermine des situations actuelles au regard du passé, de l’enfance, de la reproduction sociale.
Dans l’obscurité, sous la pluie, François attend au volant de sa camionnette. Il aperçoit, dans son rétroviseur, une silhouette féminine qui court. Il sait que c’est Leonora, son épouse depuis 25 ans. Il ne veut pas qu’elle détruise sa vie. Quand elle dépasse le véhicule, il démarre, accélère et la heurte. Elle n’est pas morte. Il recule et le poids de la voiture fait son œuvre.
Holger, un policier à la retraite, raconte à Josefine sa fille, qu’il a trouvé cette pauvre femme la tête à moitié écrasée, presque méconnaissable. C’est une affaire non résolue qui l’obsède. Il n’a rien pu prouver. Sa fille, qui jusqu’alors restait indifférente à son métier, se passionne pour cette affaire et le presse de la lui exposer. Il raconte alors que tout avait commencé, trois jours avant le meurtre, par un SMS. En pleine nuit, le téléphone de Christian bipe, ce qui réveille Leonora. Deux ou trois sonneries plus tard, elle veut savoir qui est l’auteur de ces SMS et la raison. Christian n’est pas convaincant dans ses réponses. Elle comprend qu’il ment. Voulant prendre l’appareil, son mari le fracasse contre le mur. Il s’agissait de SMS émanant de Zenia, l’architecte avec qui il travaille à la construction d’un bâtiment innovant. Ils sont amants et elle le presse de choisir. Christian, à cause de Johan, leur fils pour qui ils ont tant souffert, tremblé, alors qu’il était leucémique, ne sait pas choisir.
La situation va vite dégénérer, mais les circonstances sont parfois facétieuses…
Avec deux parcours qui s’entrecroisent, celui de Leonora, Zenia et Christian qui vivent une vie pleine d’interrogations, et celui d’Holger qui raconte ce qu’il a vu, ce qu’il a su, ce qu’il a supposé et imaginé, Anna Ekberg propose une histoire riche en suspense, tension et péripéties retorses. De plus, elle détaille nombre de faits sur la vie au Danemark. Elle fait allusion au fisc dont les interventions semblent nombreuses et approfondies.
Avec Leonora, qui possède l’oreille absolue, elle aborde des thèmes musicaux. Avec Zenia et Christian, ce sont les constructions, et celle d’un bâtiment écologique.
L’auteure fait montre, avec son architecte, d’une sexualité libre, débridée. C’est elle qui initie son amant à des plaisirs nouveaux dont il ignorait l’existence. Elle dépeint avec talent les différentes facettes de l’amour, l’évolution des individus, l’évolution de leurs sentiments amoureux quand, par exemple, l’un d’eux se rend compte qu’il est devenu indifférent à l’autre.
Si avec La Femme secrète (cherche-midi – 2017), Anna Ekberg avait séduit, avec ce nouveau roman elle enchante en offrant un grand moment de lecture.
serge perraud
Anna Ekberg, Amour entre adultes (Koerlighed for voksne), traduit du danois par Laila Flink Thullesen & Christine Berlioz, cherche midi, coll. “Thrillers”, mai 2019, 448 p. – 22,00 €.