Avec Tannicia, qui devient Zibeline par tirage au sort, les scénaristes conçoivent une petite héroïne pleine de fougue et de tonus. Bien qu’elle se retrouve perdue dans un monde inconnu, elle va savoir se faire aider et entraîner nombre de personnages dans sa quête, les faire participer à toutes les aventures que sa quête va engendrer pour retrouver son village et sa famille.
Mais, si elle rencontre des êtres bienveillants à son égard, elle est confrontée à des escrocs, des individus qui lui veulent du mal.
Tannicia est une petite fille de huit ans qui vit dans un village de cases. Malgré son jeune âge, elle a un caractère bien affirmé. Alors qu’elle accuse Badou, son grand frère, de tricherie au jeu, sa mère excédée l’envoie chercher de l’eau, pensant que cela la calmera. Accompagné par Wawa, son jeune oryctérope, elle se rend à la rivière où elle est enlevée pour être sacrifiée lors d’une cérémonie de type vaudou.
Quand le sorcier veut lui passer autour du cou un pendentif qui émet des ondes lumineuses, elle se rebiffe, se dégage et court dans les marais. Elle sombre dans une fosse… C’est dans un lit, au cœur d’une habitation en bois, qu’elle reprend conscience. Quand un humanoïde à tête de lion ouvre la porte, elle détale, terrifiée et tombe dans la rivière. Repêchée, elle n’en mène pas large car le lion est rejoint par un homme à tête de cheval, puis par une dame à la tête de crocodile. Ils ne lui veulent pas de mal mais trouvent étrange cette petite créature sans poils ni plumes sur le corps. Ils finissent par comprendre qu’elle veut retrouver ses parents. Or, personne ne sait d’où elle vient. Elle non plus d’ailleurs ! Ils pensent alors l’emmener à CMT Jupiter… une grande ville gouvernée par un roi-gorille…
Si cette histoire s’adresse en premier lieu aux jeunes, elle comprend un second degré très humoristique et satirique. Les scénaristes composent une société pleine de contradictions à l’image de la nôtre. Ils mettent en scène des experts totalement déconnectés de la réalité et du terrain. Ils animent des intermédiaires entre le pouvoir et le peuple, s’amusent avec des religieux qui font semblant d’interpréter les signes royaux, qui décrètent ce qui est bon pour le peuple. Ils utilisent un langage déclamatoire pour s’adresser à un grand singe qui ne comprend rien à ce qu’on lui demande. Et, sous couvert d’humour, ils explicitent les manipulations permettant de présenter comme un miracle la renaissance d’un roi…
Les péripéties ne manquent pas et les rebondissements ne laissent guère de répit à l’héroïne et à ceux qui l’accompagnent, de gré ou par la force des circonstances. De vieux supplices sont remis au goût du jour pour les individus qui ne restent pas dans la ligne édictée par les religieux.
Le dessin de Mohamed Aouamri est précis, lumineux, d’une plaisante tenue, en parfaite osmose avec le contenu du scénario. Il donne vie à une belle galerie de personnages humanoïdes, faisant transparaître sentiments et émotions de belle manière. Avec une mise en page dynamique, il livre de beaux décors, privilégiant cependant les personnages. Et, de la petite Zibeline, il réalise une série de portraits craquants.
L’album est complété par un cahier rédactionnel et graphique portant pour titre Le journal de mes aventures où l’enfant synthétise ce qui lui arrive avec, pour illustrations, des esquisses de Mohamed Aouamri.
Sur l’autre rive se révèle le premier tome fort intéressant d’une série qui devrait développer de nouvelles et belles aventures de cette fillette attachante.
serge perraud
Régis Hautière & Régis Goddyn (scénario), Mohamed Aouamri (dessin), David Périmony (couleurs), Zibeline — t.01 : Sur l’autre rive, Casterman, mai 2019, 64 p. – 15,00 €.