Passant de la lettre aux mots, Jaffeux poursuit sa quête de ce que ces derniers ouvrent face au silence énigmatique. Car si l’écriture ou la parole semble mettre fin au silence, cet ébruitement — qu’il s’affranchisse ou non de la rhétorique, qu’il cherche à stimuler et nourrir l’imaginaire — ne donne pas forcément un sens sûr et stable quels que soient les voies, voix ou supports.
Scripturographie, écriture informatique, oralité rien n’étaie la moindre incorruptibilité du discours. Certes, chaque médium tente de naviguer sur le flux des consciences — mais l’inconscient demeure insondable.
Pour autant Jaffeux, dans les “3 735 542 octets de son texte, signale les limites de l’écriture ordinaire sans pallier à ses insuffisances”. Toute écriture (musicale, filmique comprises) reste un traitement plus ou moins palliatif à ce qui ne peut se dire, s’écrire, s’imager, se chanter, etc..
L’auteur continue néanmoins de sortir les langages de leurs cadres, logiques, montages. Il sait qu’aucune méthode — artisanale ou industrielle — ne peut créer des déplacements impromptus.
Toutefois, il souligne combien la destruction du discours ne pourrait être possible que par un souffle inventif. Jaffeux en a proposé dans d’autres livres des propulsions. Ici, il présente les heurts et limites d’une “culbute” qui découvre au mieux “la matière brute d’une langue spiritualisée”. Si bien que tout langage “tourne autour d’un alphabet vide qui ne change pas”.
Néanmoins, tout reste encore “à suivre” et la quête de Jaffeux se poursuit. Elle a de beaux jours devant elle même si la lettre et l’être resteront sans doute inconciliables sinon avec la “jouissance de l’idiot” dont parle Lacan.
Mais n’est-ce pas ce qui justifie tout langage ?
jean-paul gavard-perret
Philippe Jaffeux, Mots, Lanskine, Paris, 2019, 176 p. — 20,00 €.
« Il sait qu’aucune méthode — artisanale ou industrielle — ne peut créer des déplacements impromptus. »
Oui! Poursuivre au pied de la lettre ou pas.