Eric Rondepierre, Double feinte. Territoire des fictions secondes

Le jeu dans le jeu

Au coeur de la fic­tion s’immiscent par­fois des leurres du leurre. C’est une manière moins de la “far­cir” que de la dou­bler et ce, quel qu’en soit le genre : photo, cinéma, clip, roman, théâtre. Existe alors ce que Ron­de­pierre nomme une “Double feinte”. Elle anime de légende la réa­lité “confon­dante” dans une fic­tion co-fondante.
L’espace de le repré­sen­ta­tion, en  cette intru­sion, pro­pose une sorte de chassé-croisé par un mimé­tisme par­ti­cu­lier aux effets remar­quables. Ron­de­pierre les exa­mine à tra­vers des oeuvres très spé­ci­fiques et par­fois trop oubliées : celle de Paul Nougé, artiste et poète sur­réa­liste belge spé­cia­liste de jeux de miroir aux étranges “col­lages” de décodages

Dans son oeuvre comme dans celles de For­man, Anto­nioni, Cer­van­tès mais aussi les plus inat­tendu Jeff Wall et sur­tout Jerry Lewis, la feinte dans la feinte “n’est qu’un moyen de s’approcher du coeur pal­pi­tant de nos vies” et ce, par de mul­tiples mimes. C’est le théâtre du moi, entre “fic­tions pour soi” ou “fic­tion par­ta­gée”, voire “totale” .
Pour ce der­nier cas, voir le clip “Woman” de Thraves-Cherry où se retrouve en un faire-semblant un savoir-faire com­plexe.  De telles oeuvres créent des doubles jeux inté­graux qui à la fois rap­prochent et éloignent dans leurs simu­la­tions que l’auteur  décrypte en pré­ci­sant tous les niveaux de per­cep­tion qui les animent.

Existe dans les exemples choi­sis un manié­risme ludique où le faux fait le jeu du vrai, le fan­tôme celui de l’être, l’ombre celui de la lumière. Les jeux de l’enfance y sont réac­ti­vés par­fois de manière très hété­ro­gène afin de sol­li­ci­ter notre propre ima­gi­naire dans la pas­sa­tion de simu­lacres.
C’est le cas de la  scène clé du “Dingue de palace” de Jerry Lewis là où, appa­rem­ment, il n’y a rien à voir pour le spec­ta­teur mais où est sug­gé­rée une décou­verte que le héros ne par­tage avec personne.

Dans le champ aveugle du mime chez Lewis, comme dans le champ “vide” de “Blow-up” où se joue — à la fin — une sublime par­tie de ten­nis aveugle (que l’auteur repren­dra selon une autre contex­tua­li­sa­tion et figu­ra­tion dans “Pro­fes­sion Repor­ter”), se joue la plus magis­trale inter­ro­ga­tion non sur la fic­tion elle-même (car ce serait secon­daire) mais sur le sens de l’existence et de l’identité.
Et, à ce titre, le Qui­chotte de Cer­vantes reste le paran­gon de cette figure de style, d’intelligence et d’existence aux éter­nels fris­sons. Ils sont “vitri­fiés” en appa­rence. Mais en appa­rence seulement.

jean-paul gavard-perret

Eric Ron­de­pierre, Double feinte. Ter­ri­toire des fic­tions secondes, éditions Tin­bad, coll. Tin­bad Essai,  Paris, 2019, 190 p. — 22,00 €.

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