Au coeur de la fiction s’immiscent parfois des leurres du leurre. C’est une manière moins de la “farcir” que de la doubler et ce, quel qu’en soit le genre : photo, cinéma, clip, roman, théâtre. Existe alors ce que Rondepierre nomme une “Double feinte”. Elle anime de légende la réalité “confondante” dans une fiction co-fondante.
L’espace de le représentation, en cette intrusion, propose une sorte de chassé-croisé par un mimétisme particulier aux effets remarquables. Rondepierre les examine à travers des oeuvres très spécifiques et parfois trop oubliées : celle de Paul Nougé, artiste et poète surréaliste belge spécialiste de jeux de miroir aux étranges “collages” de décodages
Dans son oeuvre comme dans celles de Forman, Antonioni, Cervantès mais aussi les plus inattendu Jeff Wall et surtout Jerry Lewis, la feinte dans la feinte “n’est qu’un moyen de s’approcher du coeur palpitant de nos vies” et ce, par de multiples mimes. C’est le théâtre du moi, entre “fictions pour soi” ou “fiction partagée”, voire “totale” .
Pour ce dernier cas, voir le clip “Woman” de Thraves-Cherry où se retrouve en un faire-semblant un savoir-faire complexe. De telles oeuvres créent des doubles jeux intégraux qui à la fois rapprochent et éloignent dans leurs simulations que l’auteur décrypte en précisant tous les niveaux de perception qui les animent.
Existe dans les exemples choisis un maniérisme ludique où le faux fait le jeu du vrai, le fantôme celui de l’être, l’ombre celui de la lumière. Les jeux de l’enfance y sont réactivés parfois de manière très hétérogène afin de solliciter notre propre imaginaire dans la passation de simulacres.
C’est le cas de la scène clé du “Dingue de palace” de Jerry Lewis là où, apparemment, il n’y a rien à voir pour le spectateur mais où est suggérée une découverte que le héros ne partage avec personne.
Dans le champ aveugle du mime chez Lewis, comme dans le champ “vide” de “Blow-up” où se joue — à la fin — une sublime partie de tennis aveugle (que l’auteur reprendra selon une autre contextualisation et figuration dans “Profession Reporter”), se joue la plus magistrale interrogation non sur la fiction elle-même (car ce serait secondaire) mais sur le sens de l’existence et de l’identité.
Et, à ce titre, le Quichotte de Cervantes reste le parangon de cette figure de style, d’intelligence et d’existence aux éternels frissons. Ils sont “vitrifiés” en apparence. Mais en apparence seulement.
jean-paul gavard-perret
Eric Rondepierre, Double feinte. Territoire des fictions secondes, éditions Tinbad, coll. Tinbad Essai, Paris, 2019, 190 p. — 22,00 €.