Marie-Paule Farina, “Le rire de Sade — essai de sadothérapie joyeuse”

Sade le Sardonique

Si dans Idées sur le roman Sade eut soin de rap­pe­ler que “Ce n’est pas tou­jours en fai­sant triom­pher la vertu qu’on inté­resse”, il passa de la maxime à l’exemple. C’est d’ailleurs de là que lui viennent noto­riété et trans­fert des noms propres à un registre com­mun.
Pour autant, beau­coup de spé­cia­listes font trop faci­le­ment abs­trac­tion de ce qui secoue l’oeuvre : le rire. La déli­rante hubris est la marque des liber­tins du déli­cieux mar­quis. Le révol­tant révolté, le polé­miste, l’analyste poli­tique crée par ses théâ­tra­li­sa­tions des comé­dies de mœurs, situa­tions et caractères.

Marie-Paule Farina rap­pelle com­ment et com­bien ce rire a poussé cer­tains exé­gètes phré­no­logues (mais pas seule­ment) à sacrer l’auteur d’un esprit sin­gu­liè­re­ment dérangé. Mais celui qui fré­quenta “le pou­lailler de Vin­cennes” et autres geôles se moqua bien des inven­teurs de chi­mères qui ‚déjà à son époque, vou­lurent clouer le bec à l’impénitent impé­trant.
Ce qui fait le plus rude mais qui reste un des fon­de­ments de la “vis comica ” de l’oeuvre est que les “infor­tunes de la vertu” sont plus drôles que celles du vice. Mon­trer les pre­mières est plus cou­rant que de prendre le parti des secondes. Certes, ce sont les mêmes : mais la focale change et cette modi­fi­ca­tion crée une mor­ti­fi­ca­tion de l’outrance. Par le rire, l’infortune des “far­cies” prend un sens plus poli­tique au moment où elles subissent jusque dans leurs fon­de­ments les sophismes dont Les 120 jour­nées de Sodome donnent une belle (si l’on peut dire) idée.

Face à ce parti-pris de la “chose”, Marie-Paule Farina fait le tour des pour­fen­deurs de Sade. Il fut et reste encore sou­mis à la vio­lence des inqui­si­teurs. Elle prouve aussi com­ment un des thu­ri­fé­raires de Sade s’est pris les pieds dans les tapis du châ­teau de ce Mar­quis. Gil­bert Lely, en vou­lant sau­ver son modèle, a trouvé dans sa Vie du Mar­quis de Sade des argu­ments pas tou­jours adé­quats, jusqu’à rejoindre de facto ceux qu’il nomma lui même “les fouille-merde”.
Marie-Paule Farina, à l’inverse de Lely, ne tombe pas dans les chausse-trappes de l’enchaîné que tant et tant auraient voulu réduire au mutisme com­plet. Au-delà des vicis­si­tudes, Sade demeure l’auteur comique qui met tou­jours le doigt (euphé­misme) où ça fait mal. Les valeurs che­va­le­resques subies par les vic­times ren­versent la société d’un rire cui­sant mais rire tout de même.

Lequel rap­pelle que les vrais phi­lo­sophes, de Rabe­lais à Beckett, de Sade à Kafka sont des espiègles et que, sans eux ‚la lit­té­ra­ture n’aurait pas grand chose à dire et à mon­trer. Sans le rire, la trans­gres­sion est vaine. Seul, il gan­grène ce qui nous pèse : à savoir les pou­voirs poli­tiques, éthiques, reli­gieux. Chez Sade, le “ça” freu­dien fait du rire non “de” la langue mais “lalangue” chère à Lacan — un des rares à com­prendre que “là où ça fait mal, ça jouit encore car le désir tra­verse “.
Et jusque dans le véri­table dédale des mor­ti­fi­ca­tions du vice et les comiques tra­giques des situa­tions des esclaves.

L’auteur des Infor­tunes de la vertu  reste un des seuls à rameu­ter l’écho des fabliaux du Moyen Age comme des Livres rabe­lai­siens. Et Marie-Paule Farina a mis en évi­dence ce qui fait de ses textes des brû­lots : le rire sar­do­nique. Avant même la Révo­lu­tion, il anti­cipa et mit à mal ceux qui se vou­dront “père des peuples” ou prêtre de l’ «être suprême».
Le rire de Sade est à ce titre ce pes­si­misme actif qui dit aux maté­ria­lismes et aux méta­phy­siques comme aux pères du peuple leurs faits. C’est l’essence des anti-pouvoir. Sar­do­nique pour défi­nir ce rire est donc bien le juste adjectif.

jean-paul gavard-perret

Marie-Paule Farina, Le rire de Sade — essai de sado­thé­ra­pie joyeuse, L’Harmattan, coll. Ethiques de la créa­tion, Paris, 2019, 260 p. — 25,00 €.

1 Comment

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One Response to Marie-Paule Farina, “Le rire de Sade — essai de sadothérapie joyeuse”

  1. Villeneuve

    Chan­tal Tho­mas en avait pré­senté une thèse clas­sique . Marie-Paule Farina offre un livre de joyeuse thé­ra­pie . Il s’agit de Sade enfin bien éclairé !

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