La vengeance de boue et de fureur
Ivo van Hove conjugue Électre et Oreste d’Euripide dans un climat de tension continu qui laisse le spectateur sans répit aucun. Père d’Électre et d’Oreste, Agamemnon a été assassiné par sa femme Clytemnestre et son amant Egisthe à son retour de la guerre de Troie. Électre narre les retrouvailles, après plusieurs années d’exil, d’une sœur et d’un frère qui s’uniront pour venger leur père.
La seconde tragédie poursuit l’histoire après le régicide et le matricide alors qu’Oreste doit répondre de son acte devant les Argiens, la folie meurtrière continuant de guetter la fratrie avant que n’intervienne enfin la justice divine.
La scène est entièrement recouverte de boue. Au centre, un cube creux figure successivement le logis d’Electre puis le palais d’Argos. Deux jeux de percussions cuivrés de part et d’autre du cube se dressent alors qu’une passerelle de bois précipite un à un les personnages dans cet univers de glaise sombre et froid. Une puissance tellurique omniprésente semble happer les personnages vers les profondeurs de la terre, en lesquelles on s’enlise jusqu’à la folie.
Les costumes aux couleurs violacées tranchent avec le décor et finissent maculés d’une fange épaisse. Là, rien ne résistera, ne demeurera intact. Les gongs et des cymbales battent sourdement le rythme de cette avancée tragique, figurant un resserrement de la tension, scandant la mesure jusqu’à être finalement, fatalement recouverts par les cris.
Alliées aux sonorités barbares des percussions des temps anciens, les chorégraphies aux allures de transe de Wim Vandekeybus ressemblent à un rituel inhospitalier, à une mise en garde. Le sang, se mêlant à la boue, signe un retour à la brutalité et à la sauvagerie, conduisant le spectateur à interroger sa propre humanité.
Au milieu de ce déchirement de haine, un lien unique survit : celui d’une sœur et d’un frère unis dans l’accomplissement d’une volonté divine qui les dépasse. Et c’est une vengeance froide, rétractée sur elle-même et couvée depuis si longtemps qu’Ivo van Hove s’applique à montrer dans tous ses excès. Dans des giclées de boue et de sang se mêlent des scènes d’une violence inouïe : le meurtre et l’aliénation sont à l’œuvre tout au long de la pièce.
Le directeur du Toneelgroep Amsterdam sait s’imposer une nouvelle fois : présentant avec une grande maîtrise une œuvre brutale, originale et fulgurante, dans laquelle s’illustre avec brio la troupe de la Comédie Française. Comme tous les grands, en faisant du plateau le lieu de tous les déchaînements, il recrée encore une fois notre émerveillement pour le théâtre.
clara cossutta & christophe giolito
Électre/Oreste d’Euripide
Mise en scène Ivo van Hove
Avec : Sylvia Bergé, Peio Berterretche, Suliane Brahim, Cécile Brune, LoÏc Corbery, Gael Kamilindi,
Elsa Lepoivre, Claude Mathieu, Rebecca Marder, Christophe Montenez, Denis Podalydès, Didier Sandre.
Trio Xenakis : Adélaïde Ferrière, Emmanuel Jacquet, Rodolphe Théry, Othman Louati, Romain Maisonnasse, Benoît Maurin percussions (en alternance).
Traduction Marie Delcourt-Curvers ; version scénique Bart Van den Eynde et Ivo van Hove ; scénographie et lumières Jan Versweyveld ; costumes An D’Huys ; musique originale et concept sonore Eric Sleichim ; travail chorégraphique Wim Vandekeybus ; dramaturgie Bart Van den Eynde ; assistanat à la mise en scène Laurent Delvert ; assistanat à la scénographie Roel Van Berckelaer ; assistanat aux costumes Sylvie Lombart ; assistanat aux lumières François Thouret ; assistanat au son Pierre Routin ; assistanat au travail chorégraphique Laura Aris.
© Jan VersWeyveld
À la Comédie française, salle Richelieu, du 27 avril au 3 juillet 2019
Comédie-Française
Au cinéma Pathé Live Spectacle diffusé en direct dans plus de 300 salles de cinéma en France et à l’étranger Jeudi 23 mai 2019 à 20h15
Reprises au cinéma le 16 juin à 17h, les 17 et 18 juin à 20h
Théâtre antique d’Épidaure26 et 27 juillet
durée 2 h 10 sans entracte