John N. Turner, Éphé[mère]

De la com­plexité de la nature humaine…

Hope Gra­ham voit arri­ver le shé­rif, un poli­cier qui ne se déplace jamais sans rai­son. Mais la pho­to­gra­phie d’Isabelle qu’il lui pré­sente ne res­semble pas à la femme qu’elle a connue.
Jean-Pierre Thou­ve­nin est confronté à la une de La Voix de la Savoie où s’étale la photo d’Isabelle cha­peau­tée par le titre : Le monstre iné­nar­rable. Il est cho­qué car il estime que les jour­na­listes en font une cri­mi­nelle pour faire vendre du papier. Il entre­prend de racon­ter la vérité, de pré­sen­ter Isa­belle telle qu’elle est réel­le­ment. Les témoi­gnages de Jean-Pierre, d’Anne-Marie, de Geor­gette, de Hope, de Joce­lyne… éclairent ce que fut l’enfance dans cette famille de vigne­rons sur des terres pauvres. Isa­belle est la der­nière d’une fra­trie de cinq enfants dont quatre filles. La mère, la Geor­gette, est une maî­tresse femme qui fait tour­ner l’exploitation depuis que Ray­mond, son mari, a versé dans la vini­fi­ca­tion. C’est une famille avec l’esprit cla­nique déve­loppé. Mais, comme dans toutes les familles, il y a des failles. Ici, c’est Antoine, l’aîné, un gar­çon tur­bu­lent devenu cul-de-jatte dans un acci­dent avec le père et mort pré­ma­tu­ré­ment.
Isa­belle pour­suit des études jusqu’en faculté, épouse Jean-Pierre, un ingé­nieur et le rejoint, avec ses deux gar­çons, aux États-Unis où il tra­vaille pour Ford. Et la vie se déroule. Mais pour­quoi Isa­belle, cette mère de famille effa­cée, fait-elle la une de jour­naux fran­çais, de repor­tages aux USA, en tant que criminelle ?

Une construc­tion nar­ra­tive intri­gante qui passe par dif­fé­rentes décla­ra­tions de per­sonnes ayant connues l’accusée. Tout le récit passe par des témoi­gnages tant en France qu’aux États-Unis. John N. Tur­ner brosse, ainsi, une gale­rie étof­fée de per­son­nages qui racontent, selon leur point de vue, leur per­cep­tion des évé­ne­ments, des faits, des sen­ti­ments, ce qu’Isabelle évoque pour eux. Ils livrent leur opi­nion, com­ment ils la voyaient, com­ment elle appa­rais­sait à leurs yeux.
Le roman­cier dresse des por­traits magni­fiques, si réels, si vrai­sem­blables tel Jean-Pierre, son mari. Il est si obsédé par l’automobile, les car­bu­ra­teurs et le prix de l’essence, qu’il passe à côté de plein de choses. Le lec­teur prend connais­sance des cir­cons­tances où les pro­ta­go­nistes ont ren­con­tré Isa­belle, com­ment ils l’ont côtoyée. Défilent ainsi Anne –Marie, son amie, Joce­lyne, sa sœur aînée, Geor­gette, sa mère, des enquê­teurs, des méde­cins, des soi­gnants, un jour­na­liste qui en était amou­reux en CM2… Ils com­posent une ronde où cha­cun pos­sède un peu de cette femme, une femme qui est seule, trop seule mal­gré ceux qui semblent l’entourer.

Mais le roman­cier est très habile dans ces des­crip­tions, don­nant des appré­cia­tions dif­fé­rentes selon les acteurs les actes, des évé­ne­ments. Jean-Pierre, par exemple, décrit son épouse comme l’enfant de trop, l’éternelle oubliée alors que sa sœur la pré­sente comme la chou­choute, celle qui savait y faire pour avoir tout. Il donne, paral­lè­le­ment, la vision d’une époque dans une zone rurale, dans l’Amérique post-industrielle de Detroit.
Il sème, dans son intrigue, une flo­rai­son de réflexions cocasses, per­ti­nentes sur bien des sujets. Il évoque ainsi  la mam­mo­gra­phie inven­tée, selon lui par un tor­tion­naire, rejoi­gnant ainsi l’avis de Michèle Bernier.

Bacté­rio­lo­giste de pro­fes­sion, l’auteur appuie son intrigue sur nombre de réfé­rences médi­cales, de sujets ayant trait aux mala­dies essen­tiel­le­ment fémi­nines pour arri­ver à une conclu­sion épous­tou­flante mais qui se révèle si plau­sible compte tenu de la com­plexité psy­chique et phy­sique de l’être humain.
Avec Éphé[mère], John N. Tur­ner offre un roman construit avec du quo­ti­dien, retrans­crit avec une telle jus­tesse qu’il frappe fort. Dif­fi­cile d’en arrê­ter la lecture !

serge per­raud

John N. Tur­ner, Éphé[mère], l’aube, coll. “Noire”, avril 2019, 192 p. — 17,90 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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