Un récit aux allures de roman policier !
Clemenceau est alors président du Conseil. Ce 19 février 1919, comme à son habitude, après s’être levé tôt, il se prépare à partir du 8 rue Franklin dans le 16e arrondissement où il loue un modeste rez-de-jardin pour le ministère de la Guerre où il a ses bureaux. Vers 8 heures 30, un grand jeune homme blond, l’air d’un étudiant bohème, commence à faire les cent pas en bas de la rue. Il s’appelle Émile Cottin, surnommé Milou. À 8 heures 45 précises, Clemenceau sort de chez lui, salue la concierge et les policiers chargés de sa sécurité. Il monte dans sa limousine, une Rolls-Royce, qui à vitesse réduite se dirige vers le boulevard. Cottin n’a pas vu la voiture démarrer mais il entend le moteur. Il se précipite et tire deux coups de feu.
Le conducteur accélère mais prend le rond-point, ce qui permet au tueur de se retrouver à hauteur de la voiture et de tirer sept fois. Le chauffeur est touché et Clemenceau prend une balle dans l’omoplate qui perfore le poumon. Quand on examinera ses vêtements on découvrira la trace de trois balles qui ont traversé le pardessus sans le blesser. Les policiers se précipitent. Cottin jette son arme. La foule se rue sur lui et commence à le frapper. Ce sont les policiers qui, alors, le protègent.
Se déroule le récit de son arrestation, puis celui de l’enquête, du processus qui a amené ce garçon solitaire à cet acte avant le procès et la condamnation à mort…
Jean-Yves Le Naour détaille les circonstances de la tentative d’assassinat, les réactions politiques, les différentes phases de l’enquête pour comprendre les raisons qui ont poussé cet ouvrier ébéniste à vouloir tuer Clemenceau. Il déclare que : “M. Clemenceau est l’ennemi de la classe ouvrière…” Mais, comment et pourquoi est-il passé à l’acte ?
Rapidement, c’est le procès où Émile Cottin apparaît comme un homme discret, taiseux, sans charisme, qui semble avoir agi seul. Pour illustrer l’ambiance, Le Petit Parisien déplore : “Jamais accusé n’apparut plus terne dans une audience plus grise.”
Comme à son habitude, Jean-Yves Le Naour propose un récit détaillé, circonstancié, parfaitement structuré, hautement documenté avec moult citations et réactions tant des hommes politiques que des journalistes. Il donne mille précisions sur le climat social, politique à quelques mois de la Grande Guerre. L’armistice n’a été signée que trois mois et quelques jours avant.
Le livre est richement iconographié avec les documents de l’époque, des photos des lieux, des protagonistes, les Unes des journaux car cette affaire n’est pas passée inaperçue.
Pour l’anecdote, La Une du Miroir du dimanche 2 mars montre l’agresseur en compagnie de deux policiers qui l’emmènent à la Sûreté. Ceux-ci sont, sans le savoir, promis à un bel avenir. En effet, un certain Georges Rémi, plus connu sous le nom d’Hergé se servira de cette photo (retrouvée dans ses archives) pour créer ses célèbres Dupont et Dupond. C’est frappant !
Ce qui est aussi frappant, ce sont les décalages que l’on peut mesurer entre cette époque et la nôtre. La circulation de l’information : Une couverture de journal le 2 mars pour un événement du 19 février. Aujourd’hui, il serait déjà tombé dans les oubliettes. Clemenceau vivait dans un modeste appartement qu’il LOUAIT depuis 1896 : pas de logement de fonction aux frais du contribuable !
Avec son art narratif, son sens du rythme, Jean-Yves Le Naour rend ce récit érudit aussi attractif qu’un roman policier, sachant ménager suspense et tension.
serge perraud
Jean-Yves Le Naour, L’assassinat de Clemenceau, Perrin, février 2019, 174 p. – 17,00 €.