Une nouvelle fois, Eugnène Savitzkaya prend son lecteur à revers et au débotté en quatre textes publiés à l’origine en revue (Luna Park entre autres). Il y jointoie le genre lyrique par excellence (l’ode) et le paillasson… Cela relève pour une part de la farce et il y va plein pot. L’auteur cultive l’allusion salace et impie dans ces divers “jeux de faces”. Il y revivifie le langage vert des spectacles qui se donnaient en prélude aux Mystères devant les cathédrales.
Les dialogues sont grivois mais juste ce qu’il faut. A l’homme nu qui demande à la femme dans le même appareil : « Comment aimes-tu ma courgette ? », celle-ci de répondre : « Je me la fourre sous l’aisselle, je me la pousse dans l’oreille, je me la passe à la ceinture de soie, et je me la plie en deux ». L’auteur retrouve une langue mère, non expurgée mais à la métaphore ailée. Reste au lecteur à s’essuyer l’esprit sur le paillasson d’une ode en désordre qui ignore les odalisques.
Les vierges aux robes blanches et bleues, sont soudain métamorphosées par “des baies rouges, des oranges et des grenades”. Elles sont maîtresses “des poissons et des castors” qui insufflent la vie par tous nos pores. Qu’importent nos faiblesses et les tempêtes sous nos crânes. Si bien que « Ode au paillasson », « La guerre des anges », « Peuples périssables » et « Contre l’homme » constituent une féerie verbale, un enfer de vagues qui apprennent à voler moins dans l’azur que dans la fornication.
A mesure que l’Apocalypse approche, Savitzkaya n’y va pas de mains morte. Il fouille dans les entrailles de la terre et de ses locataires.
Cela ne sent pas forcément la rose. La puanteur monte au milieu des moisissures et des cristallisations. Mais le mot d’ordre demeure claire : “Joies ! Joies ! Mille Joies !”.
Tel est le leitmotiv de l’ode qui est là pour tarauder le “bien” penser.
L’auteur préfère la recherche du “feu fondateur”. Cela ne se fait pas sans heurts. Dans ce livre comme chez tous ceux de l’auteur, fumées et scories sont le prix à payer pour créer un nouveau monde.
Il se nourrit de matière comme “d’autres se nourrissent de rats, de grenouilles et de menu fretin, de porcs, de canards, de navets jaunes ou d’hommes et de femmes.”
Mais c’est ainsi qu’une libération avance tout feu tout flamme.
A l’homme de savoir si c’est “vers le néant des choses, des êtres” ou si peuvent refleurir des fruits, fermenter un sang neuf pour que la vie enivre.
jean-paul gavard-perret
Eugène Savitzkaya, Ode au paillasson, Ed. Le Cadran Ligné, 2019, 64 p. — 14,00 €.