Une journée au bord de l’abîme
L’originalité du livre de Charles-Eloi Vial est à souligner : à partir du récit de la journée du 15 août 1811 – jour de la Saint-Napoléon – il se livre à une analyse approfondie, construite avec des sources aussi abondantes que précises, de la situation du Ier Empire, à un moment jugé comme celui de son apogée.
Écrit avec élégance, ce récit englobe tout l’espace napoléonien, depuis le cabinet de l’Empereur aux Tuileries jusqu’aux marges de l’Europe sous influence du grand conquérant. Ainsi découvre-t-on les forces et surtout les faiblesses du système impérial à travers le peu d’enthousiasme que ces festivités ont suscité chez des populations conquises. Même les Français, soudain fatigués des grandeurs et surtout des contraintes de leur maître, commencent à rechigner. C’est en fin de compte un édifice très fragile que Charles-Eloi Vial décrit. Fragile pour une raison claire : « il y avait un empereur, mais toujours pas d’Empire. »
Cette journée particulière a aussi marqué les esprits des contemporains car elle a donné lieu à une esclandre très finement analysée par l’auteur entre Napoléon et l’ambassadeur de Russie. Car tout l’arrière-plan du livre est occupé par la crise en train de couver entre l’Empereur et le Tsar, entre ces deux empires se retrouvant presque côte à côte, en théorie liés par le traité de Tilsit mais en réalité dressés l’un contre l’autre par des ambitions contradictoires autour d’un partage de l’Europe.
Ce 15 août, « le parvenu couronné » utilise sa tactique éculée de la « grosse colère », à la fois feinte et sincère, pour impressionner l’ambassadeur et son maître et en fin de compte pour les faire plier.
Examen minutieux de l’Europe napoléonienne, cette étude passionnante décrypte aussi les ressorts intimes de la personnalité de l’Empereur. Loin de l’idolâtrie ou même de la fascination, Charles-Eloi Vial garde toute son objectivité pour mettre en avant les responsabilités, pour ne pas dire les travers du grand homme.
« Inflexible, sûr de son génie et ne supportant plus la moindre contrariété, le nouvel empereur d’Occident se sentait une fois de plus prêt à faire plier le monde, comme son entourage pliait devant lui. »
Bref, le récit détonant d’un jour pas comme les autres et d’une fuite en avant.
frederic le moal
Charles-Eloi Vial, 15 août 1811. L’apogée de l’Empire ?, Perrin, 2019, 427 p. — 24,00 €.