Blutch. Un autre paysage. Dessins 1994–2015 (exposition)

Blutch : retour aux sources

Blutch est devenu pour ce prin­temps maître de Stras­bourg avec cinq expo­si­tions. Il s’y confronte - à la biblio­thèque André Mal­raux — en prise directe avec ses goûts d’enfance côté bandes-dessinées (dont Tif et Tondu qu’il revi­site). En d’autres lieux — dont le Musée d’Art Moderne — il dia­logue avec d’autres artistes dont bien sûr Tomy Unge­rer récem­ment dis­paru.
Après ses pre­mières planches de 1988, Blutch cher­cha un per­son­nage en vaquant entre Gas­ton Lagaffe ou Modeste et Pom­pon, le tout non sans inquié­tude sexuelle au sein de telles approches. Toutes ses pre­mières his­toires tentent de répondre “à la ter­reur de la cour de récré” avec des modèles héroïques de type Steve Mc Queen. Bref, il y avait là repli, refuge et réponse aux brutes comme aux filles.

Pour lui, la bande des­si­née est la vie face aux pein­tures mor­ti­fères chris­tiques. Et, de retour dans sa ville, ses sta­tions ser­vices, son col­lège il y montre ses planches  où appa­raissent des reprises des Dal­ton, Ran­ta­plan, Lucke et son psy­chiatre. Peu à peu, pour Blutch, le des­sin devient la pen­sée. Il ne hié­rar­chise pas en accou­chant dans la confu­sion. Après ses varia­tions de Tif et Tondu il renou­velle désor­mais leurs aven­tures en com­pa­gnie de son frère. Il crée 76 pages une de leur aven­ture non sans dif­fi­culté, qui ne se ter­mi­ne­ront pas avant la fin 2019.
Tif et Tondu y appa­raissent soyeux, flous et volu­miques et ce, dans un plai­sir volup­tueux et joyeux du pin­ceau même si Kiki (l’héroïne) lui pose des pro­blèmes en balan­çant entre Monica Vitti, Mireille Darc et Sté­phane Audrand au moment où les deux héros deviennent deux  roman­ciers qui pro­duisent une fic­tion (écrite par son frère et qui sera publiée chez Dar­gaud en juin.)

Dessi­nant aussi de petits for­mats, il se confronte éga­le­ment des col­lec­tions d’art gra­phique d’hier et d’aujourd’hui : Gus­tave Doré par exemple. Le créa­teur rap­pelle des cor­res­pon­dances entre son tra­vail et celui des autres (Topor, Dürer, Ale­chinsky, Stein­berg, Ernst, Druillet, comme des croû­teux et peintres du dimanche) dans un ter­reau com­mun sans hié­rar­chie. Preuve que toutes les pro­duc­tions humaines sont rece­vables et  pré­sen­tées ici dans une sorte de cabi­net de curio­sité.
Blutch fait par­ler le motif dans la joie de faire fonc­tion­ner des formes, sans but comme un créa­teur de l’art brut repre­nant par­fois les des­sins de sa propre fille ou des gri­bouillis de Stein­berg sans vou­loir convaincre, régner, séduire. L’artiste fait par­fois des des­sins à son insu et contre tout pou­voir  sans d’autre enjeu que de faire.

Chaque fois qu’il trouve un style, Blutch le quitte pour res­ter vierge et imma­culé même dans ses des­sins éro­tiques en revers de ceux d’Ungerer aux femmes ligo­tées. Le nu est pour lui un moyen de jouer avec les formes fémi­nines de face ou de dos comme avec un regard-caméra auquel l’artiste est sen­sible lorsqu’il visionne des films.
Maître de la varia­tion, Blutch ne cesse de créer des rythmes et des fluc­tua­tions. Celle du vivant comme du rituel de céré­mo­nies secrètes et ludiques d’un théâtre - libi­di­neux ou non — sans plon­ger dans l’anecdote ou le pur récit. Il s’agit tou­jours de ména­ger du mys­tère un peu à la Magritte.

Dans l’ombre du grand ancien Tomy Unge­rer qu’il n’a pas connu par les livres d’enfants mais par “Ame­rica” et “For­ni­kon”, Blutch  le met au niveau de Sempé, de Cha­val. Il a décou­vert avec lui la cou­leur. Il se refuse tou­jours à l’huile pour le pas­tel. Ces 5 expo­si­tions per­mettent une vision des obses­sions de l’artiste.
Elle crée comme en revanche sur la vie et per­met aux autres de sup­por­ter la leur.

Existent là un refuge et un jeu péné­trés par l’existence de leur créa­teur. Le motif n ne fait pas abs­trac­tion du monde qui l’entoure. Mais sans aller jusqu’à la vio­lence qui s’empara d’Ungerer lorsqu’il “parle” l’Amérique avec un côté mora­liste que Blutch refuse.
C’est tout à son hon­neur car cela évite une posi­tion de domi­nance et de juge­ment au pro­fit de la grâce en annon­çant des hors-champs qui res­tent impénétrables.

jean-paul gavard-perret

Blutch, Un autre pay­sage. Des­sins 1994–2015, expo­si­tions, Divers lieux, Musées de Stras­bourg, du 22 mars au 30 juin 2019.

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