Varlam Chalamov, Correspondance avec Alexandre Soljenitsyne et Nadejda Mandelstam

Indis­pen­sable

Contrai­re­ment à ce que laisse entendre le titre de ce recueil, il y a là des lettres de Cha­la­mov adres­sées à cinq cor­res­pon­dants, et c’est tant mieux, car la diver­sité des des­ti­na­taires et des rap­ports (plus ou moins proches et aisés) que l’écrivain entre­te­nait avec eux contri­bue à mieux nous le faire connaître.
Pré­ci­sions aus­si­tôt que Cha­la­mov n’en reste pas moins fidèle à lui-même du début à la fin de sa cor­res­pon­dance, autre­ment dit, en un mot, admi­rable.

L
es lettres à Sol­je­nit­syne contiennent des com­men­taires lumi­neux à la fois sur cer­tains textes de celui-ci et sur l’univers du gou­lag, tel que Cha­la­mov l’a connu. De fait, il y a vécu, pen­dant un cer­tain nombre d’années, dans des condi­tions encore plus atroces que celles que Sol­je­nit­syne a connues. Cha­la­mov en donne des aper­çus sai­sis­sants.
Au pas­sage, il nous apprend qu’il a tou­jours refusé de deve­nir chef de bri­gade, “même [s’il] devai[t] en mou­rir“ (p. 21), car il n’y a rien de pire que d’envoyer ses codé­te­nus au tra­vail, c’est-à-dire à la mort plus ou moins rapide. C’est l’un des traits de gran­deur morale qui abondent chez l’auteur.

A pro­pos des mémoires de Nade­jda Man­del­stam (édi­tion fran­çaise : Contre tout espoir, 3 tomes, Gal­li­mard), Cha­la­mov nous livre l’équivalent d’une pré­face, per­ti­nent de bout en bout, qui per­met d’apprécier ses com­pé­tences cri­tiques à leur juste mesure. Il a saisi d’emblée tout ce que l’ouvrage de la veuve du poète avait d’exceptionnel, et il a prévu à juste titre que ces mémoires seraient un jour clas­sés parmi les œuvres capi­tales du XXe siècle russe.
A pro­pos du sort d’Ossip Man­del­stam, Cha­la­mov écrit : “Le dia­logue lit­té­raire était puni de mort, de mort. C’est une chance pour Man­del­stam qu’il ne soit pas arrivé jusqu’à la Kolyma, qu’il soit mort du typhus pen­dant une qua­ran­taine. Ossip Emi­lie­vitch a évité le plus ter­rible, le plus avi­lis­sant. Si j’avais l’occasion de recom­men­cer ma vie (et j’éprouve une grande joie à être revenu et à ren­con­trer des gens, même si me revient à la mémoire tout ce que j’ai dû subir), je me sui­ci­de­rais dans un coin de la cale avant d’arriver à Maga­dane.“ (p. 99). Il rap­pelle aussi – c’est vrai­ment utile de le faire, sur­tout au pro­fit du lec­to­rat fran­çais – que le nombre de morts dans les camps “fut beau­coup plus élevé“ que celui des Sovié­tiques morts pen­dant le Seconde Guerre mon­diale (p. 104).

Concer­nant les igno­mi­nies du régime sovié­tique, Cha­la­mov nous apprend éga­le­ment qu’il y avait, en 1965, une cam­pagne d’extermination des ani­maux domes­tiques, et fait ce com­men­taire : “Chez nous, la mort, l’assassinat sont seuls consi­dé­rés comme affaire d’honneur, de gloire. L’assassinat mas­sif des chats et des hommes est un des traits dis­tinc­tifs du socia­lisme, de la struc­ture socia­liste.“ (p. 121). Suit une évo­ca­tion des chiens et des chats atten­dant d’être gazés dans la four­rière où l’auteur a réussi à s’introduire : “Les bêtes m’accueillirent dans un silence de mort“ (p. 123), s’étant déjà rési­gnées à mou­rir – le reste du repor­tage clan­des­tin sur la four­rière est aussi sobre que gla­çant.
La qua­lité lit­té­raire, la noblesse d’âme et la dignité qui res­sortent de l’ensemble des lettres rendent ce petit volume irrem­pla­çable et indis­pen­sable à tout lec­teur exigeant.

agathe de lastyns

Var­lam Cha­la­mov, Cor­res­pon­dance avec Alexandre Sol­je­nit­syne et Nade­jda Man­del­stam, tra­duit du russe par Fran­cine Andreieff, Ver­dier, coll. « Poche », avril 2019, 217 p. – 10,60 €.

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