Staline, qui représente une telle figure sur la scène intérieure de l’URSS, sur la scène internationale, a suscité un nombre impressionnant d’ouvrages biographiques, historiographiques de son règne, avec plus ou moins de fondement. En effet, ce n’est que vers le milieu des années 1990 que la déclassification des archives du Bureau politique, la plus haute instance du Parti communiste, a permis d’avoir une idée précise de ce que Staline en avait fait.
Cet organe de direction, voulu collégial par ses concepteurs, n’était plus qu’une institution chargée d’entériner les décisions prises par le “Patron”. Il régnait par la peur, par la terreur qu’il inspirait même à ses plus proches collaborateurs, même aux quatre derniers fidèles qui constituaient, avec lui, dans les années 1950 le groupe des Cinq.
Cette biographie, compilation de plus de vingt ans de recherches, propose deux modes narratifs qui donnent un éclairage particulier. Outre des chapitres reprenant classiquement la chronologie de la vie du tyran, de son engagement révolutionnaire jusqu’à l’apogée d’un culte dictatorial, Oleg Khlevniuk intègre des chapitres thématiques sur le système de gouvernance mis en place. Il décrit ainsi les lieux, les bastions du pouvoir stalinien à partir de cette journée du 1er mars 1953 qui vit le début de son agonie.
Il est difficile de mettre en avant des points positifs sur l’homme et sur son règne. Il a trompé tout le monde, même sur sa date de naissance se rajeunissant de presque un an. Passons sur les conséquences directes du Grand Tournant, la grande famine de l’hiver 1932–1933, qui fit entre cinq et sept millions de morts sans compter tous ceux qui restèrent infirmes pour essayer de dresser un bilan. Il est significatif au niveau passif et les chiffres avancés ne sont pas gonflés, bien au contraire.
Le niveau de vie du citoyen soviétique ordinaire au début des années 1950 était extraordinairement bas contrairement à ce qu’affirmait la propagande. Le russe libre se nourrissait aussi mal que le détenu du Goulag. Ce goulag a englouti, entre 1920 et 1950, plus de vingt-six millions de soviétiques. Un million a été exécuté par la police politique et les tribunaux militaires. À cela, il faut ajouter toutes les formes de répression telles que les expulsions, l’envoi en exil dans des contrées inhospitalières de plusieurs dizaines de millions de personnes.
En tant que chef de guerre, il a été particulièrement incompétent et par ses ordres aberrants il est le responsable de la perte de millions de soldats, de millions de prisonniers, de populations civiles importantes prises au piège d’une occupation cruelle. Ironie de l’Histoire, même après son décès il continue de tuer. Les autorités ont recensé 109 personnes mortes dans les bousculades, piétinées par la foule le 6 mars 1953.
On peut cependant trouver à cet homme une qualité, une capacité de travail peu commune au service d’un interventionnisme de tous les instants.
Staline d’Oleg Khlevniuk est un ouvrage référence, un monument de précision où tous les détails cités ont été vérifiés. À l’heure où, dans la Russie d’aujourd’hui, on assiste à l’émergence d’une apologie pseudo-scientifique pour la constitution d’une mythologie stalinienne, cet ouvrage remet les pendules à l’heure, livre un portrait objectif, décrit les mécanismes qui ont abouti à livrer tous les pouvoirs à un individu pour faire couler des fleuves de sang.
serge perraud
Oleg Khlevniuk, Staline, traduit de l’anglais par Evelyne Werth, préface de Nicolas Werth, Folio Histoire n° 281, janvier 2019, 720 p. – 12, 10 €.