Les vertus de l’action tissée collectivement
Sur la scène ouverte, des structures recouvertes de draps constituent des formes un peu mystérieuses. Elles trônent dans un lieu exigu, dans une ambiance déjà étouffante. Au son du tocsin, c’est la mobilisation, le début de la première guerre mondiale. Des femmes se rencontrent en ce lieu, dans un ici et maintenant où les événements se vivent et se déploieront à hauteur d’individu. Des épouses et mère de mobilisés, une jeune femme sont embauchées à l’usine d’armement ; c’est là que s’installent les échanges, au train soutenu de la fabrication des obus.
Elles font connaissance et présentent leurs différentes réactions de façon brute et spontanée. Leurs propos, souvent criés pour couvrir le bruit régnant dans l’atelier, disent les retentissements d’une urgence difficilement maîtrisée, le sentiment d’impuissance face à une machine qui broie les couples, les corps, qui, sous ses coups, finit par asséner sa logique à l’esprit rendant les armes. L’espace de leurs échanges constitue en se développant un des seuls où elles puissent respirer.
Des femmes s’entretiennent de la pénibilité de leur travail, de leur sort, de tout ce qu’il y a à assumer, de leur mari, de la guerre, avec une visibilité politique réduite initialement pour les unes, en ébullition pour l’autre. Des apartés replacent chacune dans sa situation, l’atelier dans l’ensemble de la production, la fabrication des armes dans la guerre. Un espace à l’avant-scène figure la cour où se prennent les pauses, occasion de partages et de réflexions éphémères qui feront leur chemin et finiront par porter leurs fruits.
L’innocence et la réflexion risquent à tout moment de disparaître peu à peu sous le bruit, l’odeur des machines. Les premiers deuils, les débuts timides du féminisme, de la dénonciation des conditions inhumaines de travail, toutes ces dimensions de la détresse du siècle sont abordées par une écriture déliée, alerte et efficace.
Le propos du spectacle, qui met en lumière le tissage et les vertus de l’action collective et ses effets dans la restauration d’un pouvoir d’agir, prend peu à peu des allures de manifeste. Il est habilement porté par des actrices vives, subtiles, habitées.
Un beau travail d’équipe, puissant, émouvant.
christophe giolito & manon pouliot
Les filles aux mains jaunes
de Michel Bellier
Mise en scène Jean-Marc Pautasso
Avec Danièle Duhamel, Manon Leguay, Chanael Meimoun, Vasudha Varghese.
Scénographie Nicolas Madec ; création lumière Gwennaël Hertling
A l’Auguste Théâtre 6, impasse Lamier 75011 Paris 01 43 67 20 47 durée 1h35
https://www.billetreduc.com/235880/evt.htm
Le dimanche 12 mai à 21h.
Cette pièce écrite en 2014 par Michel Bellier (Lansman Editeur) a été jouée du 20 au 24 juin 2018 au Lavoir Moderne Parisien et 6 fois entre le 20 mars et le 07 avril 2019 à l’Auguste théâtre.