Ben habite une petite ville de Floride tranquille avec sa famille recomposée. Il aime plus que tout son petit frère de trois ans Eric et s’en occupe souvent, quand son père est débordé par le travail et sa belle-mère trop occupée à gérer le quotidien. Un jour, il l’emmène avec lui au supermarché local, et il suffit de quelques minutes d’inattention pour qu’Eric disparaisse.
Cinq ans plus tard, aucune trace d’Eric, et Ben est encore rongé par la culpabilité. Sa belle-mère a sombré dans la folie, son père réussit tant bien que mal à faire vivre son foyer. Ben décide donc de prendre un travail de nuit. Ironie du sort, le seul poste qui semble disponible est celui de manutentionnaire dans le même supermarché où Eric a disparu. Le lieu ramène sans cesse Ben vers cette dure journée du passé, et il décide de reprendre l’enquête, aidé par un de ses collègues. Seulement, l’atmosphère de ce magasin devient de plus en plus étrange et pesante chaque nuit. Le responsable est un vrai tyran, certains employés ont une attitude bizarre, des boites de conserve semblent changer de place, la broyeuse à cartons émet des sons lugubres. Est-ce le fruit de l’imagination de Ben, ou une piste vers son frère disparu ?
Quand le doudou défraîchi d’Eric réapparaît mystérieusement, Ben devient alors persuadé que la clef de l’énigme réside dans ce grand magasin sinistre, et il est plus résolu que jamais à découvrir la vérité, aussi étrange soit-elle.
On compare déjà Dathan Auerbach, nouveau venu sur la scène littéraire américaine, à Stephen King dans ses jeunes années. Il est vrai qu’il en a le style, et qu’il distille tout au long de ce roman une atmosphère sombre, parfois macabre, aux portes du fantastique. On pourrait penser à Shining dans un supermarché, mais la folie qui guette les personnages ne prend pas la forme d’une hache ou d’un labyrinthe végétal. Ici, le chemin suivi par Ben pour retrouver son petit frère l’amène à mettre à jour la part obscure de certains habitants de sa petite ville, et l’horreur se dissimule dans les détails du quotidien de familles frappées par la crise.
Le supermarché où Ben prend son poste en est l’exemple même. Temple de la consommation par excellence, il asphyxie peu à peu les gens qui y passent trop de temps, et tel un monstre vorace, engloutit leur humanité. Tel l’hôtel de Shining, il est un personnage à part entière de ce roman noir, mais la comparaison s’arrête là.
En effet, si l’écriture de l’auteur est d’une grande qualité, et prédispose à créer une atmosphère anxiogène, face à laquelle le lecteur est captivé et perd parfois pied, les développements de l’intrigue ne tiennent pas toutes leurs promesses. La narration compte de nombreuses lenteurs, et l’empathie ressentie envers Ben au début du roman finit par s’estomper, tant le personnage manque de substance et nous fait tourner en rond.
Certes, le jeu entre réalité et fantastique est bien mis en place, mais il n’est pas encore totalement maîtrisé, et le dénouement du roman laisse totalement perplexe. Les choix que l’auteur fait dans la dernière partie de son livre entretiennent une confusion dans l’esprit du lecteur, et même si cela semble voulu, on est finalement heureux de sortir du brouillard narratif de la fin de l’histoire.
Les destins de Ben et Eric semblent définitivement liés, la folie submerge la quasi-totalité des personnages et notre esprit anesthésié s’est un peu perdu dans les rayons de ce supermarché effrayant, en attendant mieux la prochaine fois.
franck boussard
Dathan Auerbach, Bad Man, Belfond Noir, 2019, 448 p. – 21, 90 €.