Avec ce troisième tome la saga, commencée en juin 1992 chez Delcourt, s’achemine vers sa conclusion. À moins que Luc Brunschwig ait encore beaucoup de choses à dire sur ses personnages emblématiques d’une Amérique en proie à ses démons ou qu’un événement fort et terrible relance l’action comme ce fut le cas avec les attentats du 11 septembre.
La saga s’appuie sur les parcours de deux personnages, de deux héros dont les actes conditionnent le futur de leurs proches et celui d’un pays. D’un côté, le sergent Joshua Logan, un vétéran des forces spéciales, et de l’autre Jessica Ruppert, une femme politique qui veut redonner des couleurs sociales aux États-Unis.
L’album débute à l’hôpital de Weimar, en 1945 en Allemagne. Jessica, jeune infirmière est confrontée à la tentative de meurtre d’un malade sur un autre. Il a reconnu un soldat qui, au camp de concentration où il a été déporté, était chargé de sélectionner des enfants pour des expérimentations médicales. Il a vu, ainsi, partir sa petite sœur. Elle se remémore cet instant, assaillie par le doute quant à la justesse de ses combats au moment de passer devant une commission sénatoriale.
Sous une pluie diluvienne, Lucy cherche à rejoindre une colonne de marcheurs en route vers Washington pour soutenir Jessica. Elle entend un homme expliquer qu’aucune municipalité ne veut mettre de locaux à disposition pour qu’ils puissent passer la nuit à l’abri. Elle reconnaît Dominico. Leurs retrouvailles sont chaleureuses.
Dans la prison où Logan est enfermé depuis dix ans, un gardien demande à Strongstone de continuer à observer le “Patron”.
Lucy guide les marcheurs vers une ville abandonnée, où presque toutes les maisons sont vides, leurs habitants ayant dû les quitter lorsqu’ils ne pouvaient plus payer les remboursements obscènes exigés par les banques. Amy, qui est dans le groupe des marcheurs, retrouve l’inspecteur Coltrane. Mais tout va se gâter quand…
Luc Brunschwig aime, par-dessus tout, explorer la société dans sa complexité et raconter les évolutions que celle-ci pourrait prendre. Il pratique cette approche aussi bien dans notre époque qu’en anticipation où l’on retrouve, en fait, les mêmes problématiques déportées dans le temps parce que l’Homme ne changera jamais. Il y aura toujours des individus avides de richesses matérielles, d’avantages, de pouvoir pour satisfaire leur ego surdimensionné, ou supposé tel.
Il propose des images très dures, comme celles d’une tentative de vengeance sur un homme endoctriné jusqu’à la moelle, justifiant ses choix horribles pour que l’Allemagne reprenne son destin en main et pour croire aux folies d’un führer. On retrouve, hélas, ces situations dramatiques avec ces fanatiques qui, pour la plus grande gloire d’une entité, exécutent et massacrent à tour de bras.
Est-ce une prémonition, une capacité de lire l’avenir mais le scénariste utilise déjà les réseaux sociaux pour initier, coordonner une manifestation de masse avec des pages dédiées qui publient, presque en temps réel, toutes les indications. Avec la présente saga, le scénariste s’en prend à la sacro-sainte économie de marché et aux effets pervers de la mondialisation. Il évoque la dernière crise financière, les problèmes des gens ruinés par la névrose de financiers avides de plus de richesses. Il fait preuve d’un humour très noir quand il fait dire par l’un de ses personnages : “Il semble qu’il soit constitutionnellement admissible qu’une banque joue avec l’argent de ses clients, qu’elle les mène à la ruine en investissant dans des montages hasardeux.“
Une fois de plus, avec cet album coup de poing, Luc Brunschwig tape fort et mérite le qualificatif de Meilleur Scénariste de la présente décennie.
serge perraud
Luc Brunschwig (scénario) & Laurent Hirn (dessin et couleur), Le Pouvoir des Innocents, cycle III — Les enfants de Jessica — t.03 : Sur la route, Futuropolis, mars 2019, 56 p. – 14,00 €.