Qui a tué mon père (Édouard Louis / Stanislas Nordey)

Figure du père déchu

La poli­tique est d’emblée défi­nie comme cli­vage, entre ceux qui sont pro­té­gés, et ceux qui sont expo­sés : à la vul­né­ra­bi­lité, à la per­sé­cu­tion, à la mort. Un fils revi­site ses décon­ve­nues enfan­tines à tra­vers des bribes de dia­logues fami­liers, comme des confi­dences recher­chant par une tona­lité nou­velle à recons­ti­tuer une absence.
On s’installe peu à peu dans ce texte mûr, rela­tant des expé­riences aussi ano­dines que dif­fi­ciles ; cer­taines anec­dotes sont l’occasion de pro­non­cer des sen­tences dures, cise­lées et tran­chantes. Tout autour du pla­teau, la pho­to­gra­phie d’une zone pavillon­naire uni­forme, sta­tique, grise. Le pro­pos, enté dans un vécu aride, cherche à théo­ri­ser la dif­fé­rence radi­cale, entre ceux qui ont qui n’ont pas, ceux qui peuvent qui ne peuvent pas, qui sont qui ne sont pas.

La dic­tion de Sta­nis­las Nor­dey, sou­vent trop appuyée, épouse ici la démarche recog­ni­tive de l’auteur pour la mettre en valeur. Le comé­dien s’épanouit dans l’expression de la détresse et de la bas­sesse qui la nour­rit. La scé­no­gra­phie, un peu sta­tique, pro­cède de la dupli­ca­tion de la figure du père déchu, sous la forme de man­ne­quins en habits iden­tiques, pla­cés dans dif­fé­rentes posi­tions.
Le fils finit par les por­ter hors de la scène, pour s’en appro­prier une qu’il dis­pose, cou­chée, au centre de l’espace. La belle inten­tion d’une ren­contre sai­sis­sante, affec­ti­ve­ment et socia­le­ment, avec ce d’où l’on vient est tou­te­fois por­tée à son terme, donc épuisée.

Le pro­pos comme le jeu se montrent en effet à terme satu­rés, comme abî­més par leur propre ins­truc­tion. On se risque à dis­tin­guer deux par­ties au spec­tacle, celle de l’introspection et de l’investigation, qui nous emporte dans cette engeance sociale, et celle de la pros­pec­tion et de l’instruction, qui déve­loppe des réac­tions et des idées aux accents sen­ti­men­taux et gran­di­lo­quents, qui dési­gnent sans invi­ter, nous lais­sant ainsi déçus de ne pas par­ti­ci­per à un élan salu­taire mais auto­nome, che­va­le­resque mais sans échange.

chris­tophe giolito

 

Qui a tué mon père

texte Édouard Louis

mise en scène et jeu Sta­nis­las Nordey

Photo © Jean-Louis Fernandez

A La Col­line — théâtre natio­nal 15 Rue Malte-Brun 75020 Paris

01 44 62 52 52 https://www.colline.fr/spectacles/qui-tue-mon-pere

du 12 mars au 3 avril 2019 au Grand Théâtre

du mer­credi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30
durée esti­mée 1h50

Col­la­bo­ra­trice artis­tique Claire ingrid Cot­tan­ceau ; scé­no­gra­phie Emma­nuel Clo­lus ; lumières Sté­pha­nie Daniel ; com­po­si­tion musi­cale Oli­vier Mel­lano ; créa­tion sonore Gré­goire Ley­ma­rie ; cla­ri­nettes Jon Han­dels­man ; sculp­tures Anne Leray et Marie-Cécile Kolly ; assis­ta­nat à la mise en scène Sté­pha­nie Cos­se­rat ; décors et cos­tumes Ate­liers du Théâtre Natio­nal de Stras­bourg ; per­ruque MTL Per­ruque ; régie géné­rale Tho­mas Cottereau.

 

Le texte est paru aux édi­tions du seuil en 2018

Tour­née

Au Théâtre Natio­nal de Stras­bourg du 2 au 15 mai 2019 ; du 9 au 11 octobre 2019 à la Comé­die de Béthune – Centre dra­ma­tique natio­nal ; le 21 jan­vier 2020 au CDN Orléans / Centre-Val de Loire ; du 25 au 28 février 2020 au Théâtre de Vidy-Lausanne ; les 5 et 6 mai 2020 au Grand R – Scène natio­nale de la Roche-sur-Yon ; le 13 mai 2020 au Théâtre de Villefranche-sur-Saône.

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