San-Antonio, Réglez-lui son compte !

La nais­sance d’un monu­ment littéraire…

Faut-il pré­sen­ter le phé­no­mène San-Antonio, ces rabe­lai­siennes enquêtes écrites par Fré­dé­ric Dard ? Mais face à tel monu­ment, il est tou­jours pas­sion­nant et riche en ensei­gne­ments de reve­nir aux sources, de retrou­ver la pierre sur laquelle il s’est édi­fié. C’est l’idée qui pré­vaut pour l’édition de ce volume qui regroupe les deux pre­mières enquêtes du com­mis­saire telles qu’elles ont été écrites en 1949.
À cette époque, Fré­dé­ric Dard a 28 ans. Il a quitté sa pro­vince pour s’établir dans la région pari­sienne. Il écrit depuis sa plus tendre ado­les­cence. Son pre­mier titre publié, La Peu­chère est paru en 1940.

Réglez-lui son compte ! est pré­senté comme Les Révé­la­tions de San Anto­nio sans autre indi­ca­tion en cou­ver­ture. C’est en page de titre inté­rieure que l’on trouve : “Sans rien vou­loir dévoi­ler du mys­tère entou­rant la véri­table per­son­na­lité de San Anto­nio, l’éditeur fran­çais de ses œuvres croit pou­voir pré­ci­ser que l’auteur des fameuses révé­la­tions est étran­ger… Amé­ri­cain sans doute, puisque c’est là une des qua­li­tés requises pour briller dans la lit­té­ra­ture moderne ?” Il est pré­cisé que ces révé­la­tions ont été fran­ci­sées, adap­tées et post­syn­chro­ni­sées par Fré­dé­ric Dard.
On res­sent dans la der­nière phrase un cer­tain aga­ce­ment. En effet, à l’époque, avec le plan Mar­shall, c’est la défer­lante anglo-saxonne dans tous les domaines. La lit­té­ra­ture ne fait pas excep­tion et les auteurs fran­çais, pour être publié, doivent prendre des pseu­do­nymes à conso­nance amé­ri­caine.
Il est publié par les Édi­tions Jac­quier, un acteur lyon­nais impor­tant dans la lit­té­ra­ture de genre et porte la date du 3eme tri­mestre 1949 pour le dépôt légal.

Ce roman com­prend déjà tous les ingré­dients qui feront le suc­cès de la série : un per­son­nage haut en cou­leur, au verbe fort, hâbleur, à la faconde déchaî­née. L’écriture est tonique et le style per­cu­tant, emprun­tant à Louis-Ferdinand Céline. L’humour comme l’argot sont omni­pré­sents, ainsi qu’une pro­pen­sion à faire vivre la langue fran­çaise en la tra­vaillant, en détour­nant le sens de cer­tains mots. On trouve l’interpellation du lec­teur, des digres­sions nom­breuses et pas tou­jours en rap­port avec l’action mais si diver­tis­santes.
Dans cette pre­mière livrai­son, il n’y a pas de per­son­nages secon­daires qui seront récur­rents et la “famille” reste à créer à l’exception de Féli­cie, sa mère, qui occupe, cepen­dant, bien modes­te­ment quelques para­graphes.
On retrouve tous les élé­ments du roman noir, du roman d’espionnage qui connaî­tra un beau suc­cès, avec ce héros pre­nant et don­nant des coups sans cesse, buvant plus que de raison…

Le pre­mier récit se situe à Mar­seille. Un cadavre est décou­vert, sur un chan­tier vieux de huit mois, avec dans la bouche un étrange étui. La sûreté mar­seillaise appelle Paris et San Anto­nio déboule. C’est l’action qui prime. Les morts s’empilent, le héros échappe à la mort à plu­sieurs reprises. Les femmes sont belles et tombent sous le charme de cet entre­pre­nant commissaire.

La seconde enquête, Une Tonne de cadavres, se déroule en Ita­lie, dans la ville de Turin.
Une nou­velle inédite, Bien chaud, bien pari­sien… com­plète le volume.
Un pré­am­bule signé de Thierry Gau­tier rap­pelle les grandes étapes de l’auteur et la genèse de l’écriture de ces deux épi­sodes, enquêtes qui seront sui­vies de 173 jusqu’en l’an 2000.

Si l’on peut tou­jours ergo­ter face à quelques faci­li­tés, quelques défauts, il faut se sou­ve­nir que les roman­ciers de genre étaient payés au for­fait par livre. Il fal­lait pro­duire. Tou­te­fois, la demande était très forte, la lec­ture étant un des loi­sirs les plus répan­dus. C’est une lec­ture ou une relec­ture pas­sion­nante pour revoir un contexte qui ne fera qu’évoluer. L’ouvrage pré­sente éga­le­ment un côté his­to­rique inté­res­sant dans la mesure où des per­son­nages, des situa­tions de l’époque servent de réfé­rences, de base à des remarques, d’appui à des images. Il y perce éga­le­ment une belle et solide culture géné­rale de “l’adaptateur”.
Mais, il ne faut pas se trom­per, sous un aspect débri­dée, une impres­sion de faci­lité, il y a un sérieux travail.

serge per­raud

San-Antonio, Réglez-lui son compte !, fleu­ve­noir, mars 2019, 336 p. – 17, 90 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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