Jean-Hugues Oppel, 19 500 dollars la tonne

Des méca­nismes peu relui­sants de la finance

Jean-Hugues Oppel prend la finance folle pour cadre de son intrigue. Il décrit les méca­nismes qui amènent à ces cota­tions bour­sières et les gens de l’ombre qui y par­ti­cipent, de près ou de loin dans des direc­tions qui peuvent sem­bler bien éloi­gnées mais tra­vaillent à construire le mar­ché. Cela va de l’évaluation des réserves de mine­rais, à l’élimination de gêneurs…

Dans le pre­mier numéro de sa news­let­ter, Mis­ter K annonce à ses lec­teurs qu’il va leur foutre la trouille pour pas un rond.
En ce pre­mier dimanche de juillet, parmi des cota­tions, des cours de bourse, le lec­teur apprend que Fal­con est dans l’avion pour l’Amérique du Sud, que Lucy Chan quitte l’Amérique du Nord et que Leo­nard Par­ker Cham­bord, alias Killer Bob, contemple ses quatre écrans plats en se disant que ce n’est pas bon car les mar­chés sont trop stables.
La news­let­ter qui suit inti­tu­lée Les indi­gènes sont agi­tés, évoque les méca­nismes de la der­nière crise finan­cière et la Pyra­mide de Ponzi.
Falco, en bon assas­sin pro­fes­sion­nel, assure son contrat à Cara­cas et fait dis­pa­raître toutes traces de son pas­sage. Lucy Chan, code Lady-Lee, ana­lyste à la CIA, va au Congo, dans le Nord-Kivu pour les métaux rares que ren­ferme cette région. Mais les routes qui mènent à Goma, à Bisie, dans un pays en proie à toutes les folies où les milices mas­sacrent à tour de bras, sont trop dan­ge­reuses.
Les cour­riels de Mis­ter K, qui décryptent et dénoncent les des­sous peu relui­sants de la finance, atter­rissent sur les écrans des tra­ders de la City mal­gré les pare-feu. Ils inquiètent. Il faut mettre la main sur ce rédac­teur et le faire taire.
Bien que rien ne semble les relier, les par­cours de ces per­son­nages vont se rejoindre… pour le pire.

Le roman­cier donne une vision caus­tique des prin­ci­pales opé­ra­tions du monde de la bourse. Mais il évoque la situa­tion dra­ma­tique du Nord-Kivu. Il pointe du doigt des actions contra­dic­toires quand il cite, par exemple, un mine­rai dont la rareté va entraî­ner une extrac­tion de plus en plus coû­teuse, être de plus en plus pol­luante, pour construire des appa­reils des­ti­nés à éco­no­mi­ser de l’énergie et atté­nuer l’impact de cette der­nière sur le cli­mat. Mais ce n’est pas dans les mêmes régions ! Il mène des ana­lyses poli­tiques pleines de bon sens. On se demande pour­quoi, sous le maoïsme, ce qu’il y avait de cultu­rel à éra­di­quer les intel­lec­tuels, à envoyer des étu­diants aux champs sans faire venir des pay­sans dans les uni­ver­si­tés.
Il montre aussi les effets de la loi de Moore quand l’homme deve­nant trop lent est rem­placé par des algo­rithmes pour le trai­te­ment des échanges bour­siers. Ces algo­rithmes deviennent de plus en plus puis­sants mais res­tent des outils fonc­tion­nant selon un pro­ces­sus bien éta­bli. Il en est ainsi des filtres de Face­book qui laissent pas­ser une tue­rie en direct mais éli­minent toutes pho­tos quand elle montre plus d’un cer­tain pour­cen­tage de peau !

Ce roman au tra­vail nar­ra­tif débridé, avec un humour très pré­sent, un humour noir proche par­fois du cynisme quant au fonc­tion­ne­ment de l’univers de la finance  montre que tout est bon pour gagner quelques points de cota­tion, faire mon­ter le cours d’un pro­duit de pre­mière néces­sité.
L’auteur fait un petit rap­pel his­to­rique en intro­duc­tion. En 2010, la cas­si­té­rite, ce com­posé rou­geâtre de l’étain, s’achetait 3 dol­lars le kilo aux mineurs de Bisie sur les lieux d’extraction par des négo­ciants qui le reven­dait à Goma, au Nord-Kivu, de 6 à 6,5 dol­lars. Entre 2009 et 2010, le cours de l’étain à Londres est passé de 11 045 à 32 300 dol­lars la tonne. L’extraction de ce mine­rai est faite à la main car la méca­ni­sa­tion est pro­blé­ma­tique. Pour com­pa­rer, le bol de riz avec des hari­cots, à cette époque, valait 3 dol­lars à Bisie.

Autour d’une gale­rie de per­son­nages sin­gu­liers, fort bien mis en scène, ce roman hau­te­ment pas­sion­nant mêle les thèmes du roman noir, de l’espionnage, du polar, de la politique-fiction et offre un bon moment de lec­ture. Enfin, “bon moment” reste à légi­ti­mer face aux révé­la­tions de l’auteur sur les mani­pu­la­tions dont les popu­la­tions sont l’objet.

serge per­raud

Jean-Hugues Oppel, 19 500 dol­lars la tonne, J’ai Lu n° 12404, coll. Thril­ler, février 2019, 288 p. – 7, 40 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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