Joelle Flumet est une actrice discrète de la scène artistique helvétique. Mais il faut se méfier de l’eau du Léman qui dort. Elle est capable de « mettre le paquet ». Une de ses dernières œuvres a fait scandale. Pour l’exposition « Art and the City » de Zurich, elle a transformé le slogan de la compagnie Ernst & Young « Quality Is What We Do » en « Quality Is What We Did », jouant ainsi avec le passé industriel du quartier Zürich-West et le fait que des entreprises remplacent les espaces libres de l’art. Ernst & Young a exercé des pressions pour obtenir le démontage de l’œuvre qui est cependant demeurée en l’état. Il est vrai que l’artiste aime jouer avec les provocations jusque dans les titres pétards de ses travaux. En témoigne « The Bright Side of (The) Moon », ses « Petites dramaturgies de mode d’emploi (Palais de l’Athénée, Genève) et ,bien sûr, ses deux livres : Bite, cul, nichons et chatte, C’est bon de ne pas regarder à la dépense.
De tels titres semblent prouver que Joëlle Flumet adore les excès. De fait et paradoxalement, elle privilégie une certaine retenue par son écriture plastique accompagnée au besoin de discrets modes d’emploi. Pour autant, la créatrice suisse n’hésite jamais à donner une sacrée leçon de mauvaise conduite aux amateurs de vieil art et de vernis sages. Il faut donc toujours revenir à ses cours des miracles pleines d’acmé juvénile. Dans ses « faims de partie » planent des zèles d’un désir de choquer.
La créatrice ose bien des hybridations d’éléments tant sur le plan plastique que littéraire et ne cesse de faire se télescoper l’univers enfantin et le réel. Faussement naïves, ses œuvres créent une irrésistible attention voire une attraction irrépressible. C’est un plaisir incessant de voir Joëlle Flumet accorder à l’art les derniers outrages en entretenant une obsession plus à l’humour qu’à l’amour. Elle les fait se télescoper car souvent le second – dans sa version la plus basique – sert au mâle de pensée. Les femmes restent sur ce point plus circonspectes : l’ineffable fait partie de leur planète même si pour sa part Joëlle Fumet n’en fait pas un Gruyère.
Existent toujours des distorsions dans un dessin le plus sobre possible. Il joue autant sur la mollesse que la dureté au sein des stratégies ludiques. Si bien qu’un imaginaire échappe aux catégories connues. Entre les codes cérébraux et le manque à gagner de la sensation, la forme gicle de manière apparemment irrationnelle pour prendre jusqu’à notre inconscient au dépourvu. Les héros et héroïnes de la créatrice rappellent sous forme nonsensique que la vie n’est pas qu’un leurre et que le théâtre de la suissesse est à sa manière un Shakespeare.
A l’énonçable se mêle un visible et vice-versa. L’art devient donc le lieu par excellence de la mutation : il fait le jeu entre nos forces et nos faiblesses, entre le pouvoir et l’esclavage sous toutes ses formes. Preuve que Joëlle Flumet sait qu’il existe deux types d’individus : ceux qui n’ont aucun mal à réveiller en eux l’animal et ceux qui le mangent. Il y a ceux qui vivent dedans et ceux qui le découpent. Joëlle Flumet n’est pas une bouchère, elle fait donc partie des premiers. Drôle comme personne, elle prouve qu’on n’est jamais loin de la bête en soi. Elle la mitonne sur d’étranges étals et tables de dissection. « Je vous le prépare ? » semble dire la créatrice. Et sans attendre de réponse elle la façonne à sa manière. De ce travail naît ce que ces mets amorphes osent…
jean-paul gavard-perret
Joëlle Flumet,
– Bite, cul, nichons et chatte, Editions Ripopée, 112 p., Nyon, CHF 12, 2012
– C’est bon de ne pas regarder à la dépense, Coll. Sonar, Ed. Art et Fiction, 32 p., coll. Sonar, Art et Fiction, Lausanne, CHF 29, 2012