Martin-Scherrer esquisse des traits qui partent de points de divergence et de convergence à “l’ombre” de l’oeuvre de Joë Bousquet dans un dialogue amoureux où se croisent Côme et Viviane. Le premier est plus intéressant que la seconde. Non parce qu’il mène forcément la danse mais parce qu’à travers lui l’entretien est sans cesse relancé pour faire sentir un espace métaphysique d’un espace en commun où comme l’écrit Bousquet dans “Le Poisson d’or”, “toute pensée s’élève dans l’isée de l’être à qui elle sera communiquée”.
Dans la double de vue de l’échange advient un accueil paradoxal. Il transforme le sentiment commun et confus qui se nomme amour. Reprenant le dialogue de Bousquet et de Germaine, les deux correspondants inscrivent leur propre quête où le “fatum” donné se transforme en perspective selon l’écriture toujours précise et subtile de Martin-Scherrer. Le transfert que proposent les deux correspondances et leur regard invitent à un certain type de caresse de la pensée.
Toutefois, nous ne sommes pas au pays des idées pures mais de l’ineffable et l’échancrure d’un advenir à soi là. L’écriture fait route vers un amour qui, dans sa spirale, contamine l’un et l’autre. Elle commence et finit comme hors de l’eux-mêmes et dedans là où Côme apprend le “sens d’attendre et d’obtenir”, ce qui sera le seul fruit nourrissant du passage terrestre. Encore faut-il s’entendre sur ce qu’ici l’obtention engage.
Thierry Martin-Scherrer remplace l’hallucination de l’amour par une autre plus grande, plus parfaite tant elle se dégage de certaines prises pour aller vers des fondements plus impérieux. Ce qui est d’usage courant dans la vie quotidienne acquiert une autre dimension.
S’engage “un pas au-delà” (Blanchot) dans ce qui outrepasse l’érotisme. Et même si en un tel échange une certaine irréalité suit son cours, elle donne un vertige à l’amour au moment où, par un long déchiffrement et dialogue, “le jour se berce sur le jour et le regard est silence” (Joë Bousquet).
jean-paul gavard-perret
Thierry Martin-Scherrer, Nous sommes presque réels, La Lettre Volée, Bruxelles, 2019, 140 p. — 19,00 €.