Entre gravité et légèreté et sans souci théologal ou de démonstration, Daniel Frayssinet suit son chemin d’une forme de sagesse par glissements progressifs vers l’existence et non son fantasme. Homme du sud par l’esprit, il crée images et ses textes pour lutter contre la morbidité et la névrose. Existe dans son œuvre une histoire vivante et verticale de l’art et de la littérature qui deviennent des échelles mobiles. Le créateur échappe à toute vision passive ou nihiliste. Il s’agit de proposer des destinations imprévisibles avec des degrés variables d’immédiateté.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Principalement le fait que je déteste l’idée de passer plus d’un quart de mon temps à dormir.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
À cinquante ans sonnés, je me suis jeté sur scène pour dire la poésie que je venais d’écrire presque à mon insu. Je n’avais rien cherché par l’écriture et pourtant, sans savoir (en sachant) j’avais déterré pas mal de choses qu’entre enfance et âge adulte j’avais préféré ne pas savoir. Je suis allé sur scène pour voir s’il y était, l’enfant : s’il m’avait attendu tout ce temps. Ce spectacle s’intitulait “Petit Prince au repêchage”.
A quoi avez-vous renoncé ?
À me voir tel que j’étais. Que j’ai toujours été.
D’où venez-vous ?
D’une longue lignée de taiseux dociles et solitaires.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Un don pour le renoncement contre lequel je n’ai commencé à lutter que tard (je n’ai pas dit trop tard : je n’ai pas renoncé !)
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Deux. Contradictoires et complémentaires
1. Pisser vers l’est dans le jour qui se lève.
2. Traîner sans but et me nourrir de la belle humanité métisse des villes hystériques (Marseille, Naples, Gènes, Barcelone…)
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Je ne parle que de moi. Pas eux.
Comment définiriez-vous vos rapports textes/images ?
J’ai presque toujours écrit à partir d’images (mes dessins, les collages et les photos de Marie Ossorio). En plongeant dans les images, j’emprunte un raccourci : l’oeil, les tendons, le ventre… puis ma main, puis l’oreille (la mienne) puis l’oreille de celui à qui je dirais mon poème. Et au terme de ces détours, souvent, je tombe sur ce que je ne cherchais pas mais qu’il fallait que je trouve.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Je n’ai pas été entouré d’images ni de musique. Encore moins de musique que d’images. Mais j’ai toujours en mémoires les illustrations de l’encyclopédie pour prolos qui se vendait au porte-à-porte et qui s’appelait “Tout l’univers”. J’ai lu les 21 numéros plusieurs fois avec délectation. Et les images sont gravées en moi.
Et votre première lecture ?
Premières lectures marquante… “Le grand Meaulnes”. La magie, le mystère. Et puis aussi Pagnol mais pour d’autres raisons : je me suis toujours rêvé plus méridional que je ne suis. Mon fils aîné s’appelle Marius, pour plus de sûreté.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Je n’aime rien tant que ce que je ne connais pas. Je bénis chaque jour les propositions que me font Youtube et Deezer.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Les livres de Vasquez Montalban.
Quel film vous fait pleurer ?
Beaucoup trop de film me font pleurer (parfois de tristesse, parfois d’émerveillement). Pour n’en citer qu’un seul “Tout sur ma mère”, d’Almodovar. Et je pleure autant au drame, à l’enterrement de la Movida, qu’à la merveilleuse tirade d’Agrado quand elle explique tout le temps et tout l’argent et toute la détermination que ça peut prendre, de devenir soi-même.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Quelqu’un d’autre.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
J’ai beaucoup écrit aux gens que j’admirais. Ils m’ont rarement répondu. Non, en général, j’ose. À l’écrit, je peux tout oser.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
L’Espagne sans hésiter.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Bacon, Bashung et dans mes rêves Marina Abramovic.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un ami un vrai, un ami de toujours… mais ça semble compromis.
Que défendez-vous ?
Pas grand chose, à vrai dire… je suis né en 1962. Je suis de la génération qui a cédé sur presque tout.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Encore une phrase à la con.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Que je pourrais la porter tatouée sur le dessus de la tête. Et ça me fait penser à un formidable livre que j’ai relu plusieurs fois lui aussi (à rajouter à ma réponse à l’une des questions ci-dessus) : “Le rêve” de Mircea Cartarescu. L’une des nouvelles se termine… non, on ne divulgue pas la fin d’une nouvelle.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Les questions de base, celles que le lecteur attend : quand écrivez-vous ? Soir ou matin ? Bureau ou bistrot ? Mac ou Pc ? Tire-bouchon ou décapsuleur ? Paille ou seringue ? Levy ou Musso ?
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 5 avril 2019.