Ouvrage passionnant sur une “étoile injustement oubliée”
Je dois avouer que je n’avais jamais entendu parler de Chana Orloff avant de lire ce livre. Et d’après son auteure, ce n’est pas si étonnant que ça, car même si cette artiste prolixe a connu la gloire et les honneurs en son temps, elle se montrait très discrète aussi bien sur sa vie privée que sur ses opinions, ses choix de formes d’art, etc. etc, allant peut-être jusqu’à s’isoler.
Rebecca Benhamou a donc dû batailler, fouiner, farfouiller, interroger, compulser, se décourager, s’entêter afin de compiler un ouvrage aussi éclairant que passionnant. Qui, de son propre aveu, est un « récit-funambule […] penchant tantôt du côté de la réalité historique, tantôt du côté de [son] imaginaire. »
Contrairement à une biographie classique, l’auteure choisit sciemment de ne pas débuter son récit à l’endroit où Chana Orloff est née en 1888 (l’Ukraine des pogroms), pas non plus en Palestine (à Jaffa) où elle débarque avec ses parents en 1905, mais à Tel Aviv, « le jour où elle a décidé de quitter les siens », car « ce jour-là, elle est née une seconde fois » (p. 18). C’était en 1910, le point de départ de son périple pour la France, quitte à laisser derrière ses parents et ses huit frères et sœurs, son but ultime étant de « ne plus se soumettre à d’autres volontés que la sienne ».
Son objectif ? Paris, tant rêvée, qu’elle trouve finalement « plus rurale » qu’elle ne l’avait imaginée. Chana est mue par une urgence, en plus de la liberté (mais qu’est-ce que la liberté en 1910 pour une femme ?), celle de « se réaliser ».
Son existence bascule quand elle passe et réussit le concours d’entrée à « la petite école », l’ancêtre des Arts-Déco, suivant les conseils de sa grand-mère Léa (« Apprends à te servir de tes mains et à conquérir ton indépendance ») : la forte femme qu’elle est, à tous les sens du terme, sera sculptrice. Il faut de grandes mains, de la puissance dans les bras et un trait de génie, Chana possède les trois. D’emblée établie dans le 14ème arrondissement, elle se retrouve à fréquenter une liste longue comme le bras d’artistes désargentés comme elle, les « Montparnos », dans une ambiance que l’on se figure sans peine : ébullition créatrice, débrouille et amitié à toute épreuve.
Ses meilleurs amis ? D’autres déracinés juifs, Soutine et Modigliani, qui lui présentera son premier et son seul véritable amour, le poète polonais Ary Justman (ils se marient au printemps 1916 et ont ensemble un fils atteint de poliomyélite à l’âge de trois ans). Après la liberté, les plaisirs, les amis, l’amour et la maternité, une série de morts proches et rapprochées constitue un nouveau tournant dans sa vie. Encore une fois, elle y fait front, suivant son leitmotiv : « renaître à la vie » malgré les épreuves – et sa vie en est jalonnée.
Mieux vaut s’arrêter là de crainte de trop dévoiler des péripéties de la vie de celle que son amoureux surnommait Necherith (« petit aigle »), sans doute autant pour son regard perçant que pour son patronyme (Orloff signifiant « aigle » aussi). Vous l’aurez compris, ce livre se lit comme un roman historique, sur fond de guerres, de joies et de peines, de création, de féminisme (Orloff fréquentera des cercles de femmes libres, notamment celui de l’Amazone Louise Barney), de tourments…
Pour le lecteur que cet article aurait alléché, en plus de lire ce livre, il peut admirer certaines œuvres de Chana Orloff au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme à Paris. « Sur près de cinq cents œuvres répertoriées, cent quatre-vingt-sept sont des figures en pied ou à mi-corps. Chana Orloff a pratiqué l’art du portrait toute sa vie. »
agathe de lastyns
Rebecca Benhamou, L’Horizon a pour elle dénoué sa ceinture – Chana Orloff, Fayard, mars 2019, 294 p. – 18,00 €.
Bonjour,
Les Ateliers-musée Chana Orloff sont situés a Paris 7 bis villa Seurat. Ils sont ouverts au public les weekends sur réservation www.chana-orloff.org.
A voir absolument en complément du magnifique livre de Rebecca Benhamou.